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et dissimulé, l’idéal du berger, c’était l’esprit sérieux et sincère qui examine de son mieux, qui tâche virilement de vouloir ce qui est juste, de penser ce qui est le plus raisonnable, et qui, ne pensant et ne voulant jamais que par lui-même, ne dit jamais que ce qu’il pense et ne fait que ce qu’il a besoin de faire. De l’idéal de Fox ou de celui des mondains, on sait lequel a triomphé.

Fox était-il donc un génie ? Il faudrait bien l’admettre, si le génie, comme on l’a dit, consistait seulement à exprimer le premier les vagues idées de tous. Malheureusement le génie, quoi qu’on en ait dit, est quelque chose de plus élevé, de plus rare encore ; il consiste surtout à ne vouloir que le possible, à tenir compte de toutes les nécessités, et l’ignorance est prédestinée de sa nature au culte de l’impossible. Quand Fox niait de par son instinct ce qui blessait son sens propre, il pouvait être un prophète, car c’étaient bien des lois de droit divin et d’origine divine qui se révoltaient en lui ; mais quand il prétendait révéler ensuite comment le monde devait être reconstruit, quand il annonçait comme la vérité et la justice absolues les idées et les volontés qui étaient simplement l’expression de son individualité, il n’était plus qu’un visionnaire. Prenant sa propre organisation pour le seul type normal, il voulait réduire l’humanité aux seules facultés qui étaient développées chez lui-même. Il était parfaitement décidé à ne point permettre que toutes les forces jetées par la main de Dieu dans l’univers travaillassent à y réaliser l’idéal de Dieu. Dans son idée, c’était l’univers de Dieu qui devait se conformer à l’idéal de George Fox. Comme les fondateurs des ordres monastiques, il s’était d’ailleurs proposé d’établir une communauté d’êtres sans péchés, une église de saints où ne seraient admis que des saints. Bref, il avait le germe de tout fanatisme. Il croyait à la possibilité de la perfection, c’est-à-dire à la possibilité de ce qui lui semblait à lui la perfection, de ce qu’il rêvait et désirait. Son secret pour rendre l’humanité parfaite était le grand moyen des idéalistes la destruction, l’anéantissement de toutes les inventions de l’expérience. Lui aussi pensait que, « l’église du Christ étant une assemblée de régénérés, elle devait être exempte de toutes les institutions que la prudence humaine suggère pour contenir les passions dangereuses[1]. » Cet idéal, remarquons-le, est une rêverie de tous les temps, une conclusion à laquelle ont abouti tous les utopistes religieux ou politiques, socialistes, quinto-monarchiens, proudhonistes, antinomiens, anabaptistes et radicaux. Sous prétexte que l’homme, parfait, n’a pas besoin de telles ou telles entraves pour l’empêcher d’abuser de sa liberté, les uns et les autres ont décidé qu’il fallait supprimer toutes ces entraves, comme si les précautions nécessitées par les imperfections

  1. Remarque du docteur Mosheim à propos des anabaptistes.