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fort enraciné dans l’Angleterre de tous les temps. Le berger avait beau n’être qu’un ignorant, il reprenait la tentative de Luther étouffée par Calvin. Ce qu’il venait dire, c’était encore ce que la race germanique, avec la ténacité de ses convictions individuelles, a toujours dit à la race gallo-romaine, ce que les Anglais et les Américains de nos jours redisent en glorifiant le self-reliance (l’esprit qui s’appuie sur lui-même), ce que Bacon enfin avait exprimé sous une autre forme, et que nous pourrions ainsi traduire : « Finis-en avec les arts du raisonnement, les mécaniques de la déduction, les initiations de l’école et les traitemens orthopédiques des médecins de l’entendement ; oublie les pratiques sacramentelles de la dialectique, les mortifications disciplinaires de l’intelligence et tous les arts et procédés que l’on t’enseigne pour arriver à la vérité absolue en violentant la nature. Étudie, observe, regarde, laisse faire en toi les influences de la réalité, laisse tes impressions se combiner librement suivant leurs lois, et tiens ce qu’elles écriront en toi pour un oracle.

Par un point déjà, par son mépris pour les formules, Fox était donc comme le champion des répugnances et des sympathies de sa race. À bien d’autres égards encore, il avait avec lui et les instincts de l’Angleterre et l’avenir. Si la vanité et le bon ton des hommes du monde fui étaient odieux, tant s’en fallait qu’il fût seul de son avis. Le grand siècle, il faut bien le reconnaître, n’avait su donner d’autre mobile à l’homme que l’amour de l’approbation. Le but de la politique et de la vie publique, c’était la gloire ; le but de la vie privée, c’étaient les sourires des belles ou la réputation de bel-esprit. Le savoir-vivre consistait à avoir les manières réputées de bon goût, et à déguiser sa pensée sous les complimens érigés en devoirs ; la pensée, la littérature, la philosophie, étaient l’art d’employer les locutions reconnues comme poétiques, d’éviter les mots proscrits comme des vulgarités et d’exprimer les jugemens qui passaient pour le vrai. L’idéal en un mot, c’était le brillant Richelieu, habile aux doux mensonges, et, en fin de compte, avec toutes ces élégances, on était arrivé au plus dur des esclavages. Le suffrage universel des médiocrités et des caprices avait statué comment chacun devait marcher, parler, s’habiller, aimer sa femme, et, pour faire respecter ses statuts, la raillerie exerçait une police non moins terrible que l’inquisition.

À tout cela, Fox ne répondait encore que par une négation ; mais ici encore sa négation renfermait bien des choses, car elle revenait à annoncer la mâle sincérité comme la noblesse des noblesses, la morale comme le premier des devoirs religieux. Tandis que Luther lui-même n’avait mis la charité qu’en sous-ordre, après l’adoration, le berger de Drayton avait osé croire et prêcher que la grande chose était de bien user de la vie ; tandis que l’idéal des mondains était le vice élégant