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moins plus vraisemblables. Ce parti tenta donc de tourner par la ruse l’obstacle qui se dressait droit devant lui ; au lieu d’accepter le combat, il s’efforça de l’éviter, et consomma son suicide par le vain atermoiement de l’appel au peuple, auquel il fit succéder bientôt après la tentative plus vaine encore du sursis.

Ces déplorables inventions de la timidité et de l’imprévoyance ne manquaient pas moins de sérieux que de dignité. Dénier à la convention le droit de faire tomber le glaive en lui reconnaissant solennellement celui de prononcer la sentence, dresser l’échafaud en suspendant la hache, c’était se mettre à la fois en dehors du droit constitutionnel et de la logique révolutionnaire ; promettre du sang à la populace sans en verser, c’était la provoquer à l’assassinat ; faire déchirer par la nation un arrêt rendu par soi-même, c’était confesser avec éclat et l’iniquité de cet arrêt et sa propre faiblesse, c’était enfin déchaîner la guerre civile pour dégager sa responsabilité dans la tempête.

Du jour où Vergniaud eut prononcé la funèbre parole qui décida du sort de Louis XVI, la gironde disparut comme parti, car elle cessa de représenter une idée et d’offrir à la bourgeoisie une garantie pour ses intérêts, un point d’appui dans la lutte où celle-ci se trouvait si profondément engagée. En laissant s’accomplir cette cruauté inutile et cet assassinat réfléchi, la gironde avait, en effet, implicitement voté une guerre d’extermination contre les partis, une guerre désespérée contre l’Europe ; elle avait donc rendu nécessaires les levées en masse, les confiscations, les emprunts forcés, le maximum, et sanctionné d’avance toutes les mesures qui signalèrent bientôt le triomphe des classes populaires sur les classes moyennes. Les fondateurs de la république bourgeoise inaugurèrent par un acte spontané le règne des hommes dont la mission était d’entamer contre la bourgeoisie la croisade que celle-ci venait d’achever contre la noblesse. Les hommes du 10 août portèrent eux-mêmes le pouvoir à ceux du 2 septembre, et les grandirent de toute la profondeur de leur propre chute. Brissot et Vergniaud assurèrent l’avenir de Robespierre, leur mortel ennemi, car ils préparèrent une situation d’où sortait nécessairement la dictature, et, en rendant la dictature indispensable au salut de la révolution, ils signèrent leur propre sentence de mort, ces hommes étant en effet aussi incapables de l’accepter avec résignation que de lui résister avec succès. Les girondins succombèrent sous le vote du 21 janvier aussi visiblement que les feuillans avaient succombé sous celui de la constitution civile du clergé. Les uns moururent d’une atteinte à la justice, comme les autres d’une atteinte à la conscience, et je ne sais pas dans l’histoire de moralité pis éclatante et de châtiment plus instantané. En pleine possession de la majorité jusqu’au jour où ils reculèrent devant l’épreuve décisive, ils furent constamment en minorité depuis