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grandes villes les comices électoraux, les classes ouvrières déléguèrent à fort peu d’hommes pris dans leur propre sein le mandat de détendre la révolution et de fonder les institutions républicaines. Les membres de la montagne, ceux du comité de salut public en particulier, avaient pour la plupart une position sociale qui contrastait étrangement avec les doctrines et les habitudes qu’ils se trouvèrent conduits à adopter. Il est très digne de remarque en effet que, lorsque la question se trouva posée entre les citoyens bien vêtus et les sans-culottes, les chefs parlementaires du sans-culottisme se trouvèrent à peu près tous étrangers aux classes populaires. Robespierre, Danton, Merlin, Thuriot, Couthon et tant d’autres étaient avocats ; Santerre était un des plus riches industriels de Paris ; les familles de magistrature avaient fourni à la montagne Hérault de Séchelles, Lepelletier de Saint-Fargeau, Barrère de Vieusac ; l’armée lui avait donné Dubois de Crancé, d’Antonelle, Saint-Just et Carnot. La convention fut donc aussi, à son origine, une assemblée bourgeoise qui, en dehors des circonstances terribles où elle se trouva placée, n’aurait guère reflété que les idées et les passions de l’ancien tiers-état. À l’exemple des girondins de la législative, ses membres étaient arrivés à la république beaucoup moins par l’impulsion propre de leurs instincts que par les conséquences imprévues de leurs fautes ou les égoïstes calculs de leurs ambitions.

Les chefs d’une telle majorité ne pouvaient être que les éloquens orateurs de l’assemblée précédente. Ils devinrent les représentans et les organes naturels de la nouvelle droite et de cette nombreuse plaine où s’étaient réfugiés, à la suite de Siéyès silencieux et découragé, les débris des législatures antérieures. Un accord étroit s’établit dès le début entre la majorité de la convention et les hommes dont elle suivit l’impulsion jusqu’à la veille du jour où elle livra leurs têtes. Durant les premiers mois, l’assemblée fut souverainement gouvernée par la gironde. Portés seuls au bureau et au fauteuil, ses membres formaient toutes les grandes commissions politiques ; ils dominaient en particulier dans la commission de constitution.

L’ascendant de ce parti n’était pas moindre sur la presse que sur l’assemblée. Brissot, Condorcet, Fauchet, Louvet, Gorsas, Carra, Rœderer, tous les publicistes de la république bourgeoise et tous les écrivains de l’ancien parti constitutionnel, dont les événemens accomplis avaient fait leurs auxiliaires, écrasaient, par la supériorité du talent comme par l’étendue de la publicité, les sales ou plates productions que Marat, Hébert, Fréron et Prudhomme n’adressaient guère qu’à la populace parisienne. Maîtres de l’opinion publique, les girondins l’étaient aussi de toutes les forces du gouvernement. Ils disposaient des principaux départemens ministériels ; ils pouvaient compter sur tous les tribunaux, sur les directoires et sur la plupart des administrations