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il s’est transformé aux yeux des générations nouvelles est un indice curieux du travail entrepris pour dévoyer et pervertir l’opinion publique. Après les assassins élevés de la sellette des assises au piédestal de l’histoire est survenue la transfiguration d’une assemblée chaque jour violentée dans ses opinions et dans ses membres en un sénat héroïque et impassible ; enfin, de ce que nos armées ont maintenu sous la convention l’indépendance du territoire, on a doctement induit que la politique de cette assemblée avait été la condition nécessaire de nos succès et du salut de la patrie. Ainsi la conscience publique s’est trouvée plus atteinte peut-être par le sophisme qu’elle ne l’avait été par le crime.

Quoi qu’il en soit, l’assemblée nouvelle, élue au bruit de la chute de la monarchie, se réunissait au 22 septembre dans les salles dévastées des Tuileries, sous des auspices à faire hésiter des hommes moins enthousiastes et moins légers que les girondins. Pour la république, dont une immense acclamation saluait l’avènement, le péril était bien moins dans les partis ennemis que dans les mœurs nationales ; il était moins dans les étrangers qui menaçaient la frontière que dans le récent exemple d’abdication donné par le pays lui-même. La république pouvait-elle être un gouvernement sérieux, ou bien ne serait-elle qu’un gouvernement nominal ? Au sein d’une ville dominée par l’insurrection et tiède encore d’un sang demeuré sans vengeance, la convention oserait-elle revendiquer tous les jours, au risque de sa vie, l’exercice effectif de la souveraineté déléguée par le pays ? Là gisait le secret de l’avenir.

S’il avait été donné à la convention d’appliquer les pensées qui animaient, au début de ses travaux, la très, grande majorité de ses membres, la France aurait vu s’élever un gouvernement républicain qui n’eût pas sensiblement différé de celui dont la précédente assemblée avait essayé la réalisation. Combler, par la création d’un conseil exécutif responsable, le vide que laissait la chute d’une royauté déjà très limitée dans son action ; conserver en même temps l’ensemble des institutions civiles issues de la révolution française, telle était l’espérance de la majorité ; celle-ci avait en effet la mission comme le désir de maintenir le pouvoir aux mains qui l’exerçaient sans concurrence depuis l’anéantissement politique de l’aristocratie nobiliaire.

Bien que formée par un appel adressé à l’universalité des citoyens votant en assemblées primaires[1], la convention ne compta guère dans ses rangs que des gens de loi, des propriétaires et des membres des professions libérales. Quoiqu’elles dominassent dans toutes les

  1. pour les élections à la convention nationale, les conditions de cens attachées par la constitution de 91 à l’exercice du droit électoral avaient été supprimées ; mais le vote indirect à deux degrés se trouva maintenu.