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de rage dans lequel les progrès de l’ennemi avaient jeté la population pour y trouver quelques centaines de fanatiques dont on ferait des juges-bourreaux, cette combinaison était d’un succès certain, si l’on possédait à un assez haut degré la triple qualité des temps révolutionnaires, que Danton résumait en un seul mot : l’audace. Or, l’audace ne manquait pas plus que la perversité aux douze membres du comité qui venaient de s’adjoindre Marat pour protéger, par la terreur de son nom, leur réputation véreuse et compromise. On avait toute raison de croire que l’indulgence ne manquerait pas davantage au ministre de la justice, en présence du fait accompli : on savait qu’aucun genre de scrupule n’arrêtait Danton, qui, pour renverser Roland et ses collègues girondins, avait besoin de ménager Marat et la tourbe entraînée dans son sanglant orbite. Ainsi, rassuré par l’impuissance des victimes, par la lâcheté des spectateurs et la tolérance intéressée des pouvoirs révolutionnaires, le comité consomma le crime de sang-froid, et parvint à mettre la colère du peuple entre lui et la justice.

Dans le cours de ces funestes journées, l’attitude de Danton lui-même fut, à bien dire, passive. Écrasé plus tard sous la solidarité d’un forfait qu’il avait connu sans rien faire pour l’empêcher, la nature de don caractère le porta à grandir son rôle pour se relever devant la postérité et pour imprimer à ses ennemis une terreur calculée de son audace. Enchaîné à ce crime par une chaîne d’airain, il s’efforça de l’ennoblir en le liant à une combinaison profonde. Ainsi s’est élevé aux proportions d’une conspiration gigantesque un acte hideux dans lequel l’histoire impartiale et sérieuse ne trouvera très probablement un jour qu’un calcul d’escrocs et un coup de main de voleurs[1].

Si je me suis arrêté sur ce triste épisode, c’est que la manière dont

  1. Je n’ai, dans ces études politiques, ni la prétention de rectifier l’histoire, ni celle de récrire, et je donne mon opinion sur les faits sans établir ces faits eux-mêmes par les documens qui les constatent. Qu’on me permette cette fois seulement de justifier mon impression en citant les témoignages qui l’ont suscitée dans mon esprit. Après avoir écarté comme inadmissibles et le système qui s’efforce de rattacher les massacres à la défense du territoire et de la révolution menacée par un complot, et les hypothèses encore moins sérieuses qui les expliquent par la secrète intervention des Anglais, des coalisés, de Coblentz, de la faction d’Orléans, j’ai dû appliquer l’axiome is fecit cui prodest, et je n’ai rencontré cet intérêt personnel et puissant que chez les hommes qui avaient ordonné les arrestations et les fouilles. J’ai lieu de croire que cette opinion paraîtra du moins plus vraisemblable que toute autre à quiconque lira sans parti pris les débats de la convention sur les événemens de septembre, et les procès-verbaux du conseil général de la commune de Paris, particulièrement ceux des séances qui précédèrent l’émission de l’arrêté du 10 mai 1793, par lequel il fut ordonné de poursuivre criminellement le comité de surveillance pour « vols, dilapidations de dépôts, bris de scellés, fausses déclarations et autres infidélités. » Je crois que mon opinion est conforme à l’esprit, sinon à la lettre des principales relations contemporaines, particulièrement à celles que nous ont laissées l’abbé Sicard, Maton de Lavarenne, Journiac de Saint-Méard, etc. J’appelle surtout l’attention sur la très curieuse brochure de Roch Marcandier, intitulée : Les Hommes de proie ; ou les Crimes de septembre, imprimée en 1795.