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La bourgeoisie parisienne, sur laquelle portèrent principalement ces attentats, avait trop peu marchandé sa liberté pour qu’on pût espérer qu’elle marchandât sa vie. Il était notoire dans Paris qu’un grand coup allait être frappé aux prisons : on savait que des ouvriers étaient commandés pour un travail nocturne, et que de nombreux tombereaux étaient retenus par l’autorité ; l’on répétait même tout bas qu’aux extrémités de la ville de larges fosses étaient creusées pour une destination inconnue. Pendant que les membres du comité de surveillance choisissaient leurs bourreaux et leurs fossoyeurs, la gironde et la montagne s’entendaient pour jeter un voile sur des crimes que l’une ne se sentait pas assez forte pour prévenir, et dont l’autre avait intérêt à ménager les auteurs. La conspiration du silence vint en aide à celle de l’assassinat, et, en frappant leurs victimes, les meurtriers n’eurent pas même un risque à courir.

Ici, je me trouve en face d’un attentat sans exemple et sans explication, et ma pensée flotte suspendue entre l’horreur qu’il m’inspire et l’étonnement que me suggèrent les divers jugemens qui en ont été portés. En flétrissant les massacres de septembre, des historiens sérieux les ont élevés à la hauteur d’une grande combinaison politique. D’après eux, leurs auteurs se seraient proposé de frapper de terreur le parti royaliste et de désarmer les conspirateurs au moment où la nation se levait pour marcher à l’ennemi. On ne s’est pas borné à prétendre que telle avait été la pensée des hommes qui tramèrent ces égorgemens ; plusieurs ont ajouté que cette pensée avait été accomplie, et que, toute cruelle qu’elle pût être, elle avait eu pour résultat effectif de faire tomber les résistances du dedans et d’arrêter l’invasion étrangère, de telle sorte que les travailleurs de Maillard auraient servi la même cause que les soldats de Dumouriez. Je repousse de toute la force de ma conviction cette solidarité prétendue ; je maintiens que les événemens de septembre n’ont exercé aucune influence favorable sur les opérations de nos armées et sur la sécurité intérieure du pouvoir révolutionnaire ; je prétends surtout que la pensée de détourner un grand péril par un grand crime n’a point été le mobile véritable des membres du comité de surveillance.

Le généreux entraînement qui poussa la France à la défense de son territoire et d’une révolution demeurée profondément nationale malgré ses fautes avait eu tout son effet avant la perpétration du crime. Dans le courant d’août, Paris avait envoyé aux frontières une armée de cinquante mille hommes, et les enrôlemens qui eurent lieu en septembre furent à peu près nuls, comparativement à ceux du mois précédent. Dans les départemens, l’horreur d’un tel crime arrêta, bien loin de l’exciter, l’ardeur avec laquelle on embrassait une cause dont les défenseurs étaient contraints de se voiler la face. Dans plusieurs