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bandes de faubouriens. On lui avait tant dit que Louis XVI était un tyran, qu’elle en croyait bien quelque chose : aussi laissa-t-elle, sans trop de regret, tomber la monarchie et la constitution de 91, quoique cette chute la plaçât elle-même et sans intermédiaire en face de l’ancien régime implacable et de la démocratie enivrée. Les journalistes et les orateurs girondins assuraient d’ailleurs que tout était pour le mieux et que la France allait entrer dans une ère de merveilles. Cette croyance était d’autant plus sincère chez les organisateurs de l’insurrection, qu’ils en avaient eu les profits immédiats. Au lendemain du 10 août, les ministres girondins furent reportés au pouvoir par un boulet de canon : en retrouvant son portefeuille, Roland put croire qu’une grande iniquité était enfin réparée et que la France avait fait justice ; mais, pendant que sa femme rentrait dans son boudoir de l’hôtel de l’intérieur, Danton s’établissait à la chancellerie, et les hommes du 10 août se trouvaient déjà face à face avec ceux du 31 mai.

Lorsqu’au bruit du canon grondant encore, Vergniaud, d’une voix tremblante, prononça le décret de suspension contre le roi présent à la barre de l’assemblée, l’orateur de la gironde avait pleine conscience de la témérité de l’entreprise où l’engageaient les meneurs de son parti. Les termes mêmes du décret, la réserve introduite dans l’un de ses articles relativement au gouverneur à donner au prince royal, constatent l’état de l’opinion publique et la crainte qu’on éprouvait de soulever les départemens en achevant par la république une révolution dont la France avait entendu faire sortir la réforme de la monarchie. C’était la première fois qu’un tel changement s’essayait, en effet, chez un peuple que la royauté avait pétri par un travail assidu de dix siècles, et dans un pays où tout avait été mis en question, excepté cette royauté, demeurée la seule croyance commune aux divers ordres de l’état, le seul lien entre les factions contraires. Opposer à l’accord de tant de générations une idée germée la veille dans le salon de M. de Condorcet et dans l’égout de Marat était une entreprise formidable. S’il ne s’était agi que de répudier les traditions du passé, l’ardeur avec laquelle la France s’était jetée dans la révolution aurait rendu une telle scission possible ; mais, sous peine de voir la république enfanter immédiatement l’anarchie, il fallait transformer tout d’un coup les mœurs publiques et privées, pour donner au pays qui avait contracté l’habitude séculaire de compter sur l’action et sur l’initiative du pouvoir la volonté de les remplacer tout à coup par sa propre action et par sa propre initiative ; il fallait qu’un peuple mobile et passionné contractât soudain un respect du droit d’autrui égal à celui qu’il portait à son propre droit, et qu’une révolution commencée sous l’impulsion presque exclusive du sentiment de l’égalité s’achevât par un culte religieux pour la liberté et pour la loi.