Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/1058

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abjurer avec éclat la foi qu’elle avait eue jusqu’ici en la protection et s’est prononcée pour la liberté du commerce. La réflexion et l’observation ont convaincu ses hommes d’état les plus éminens, ils l’ont déclaré eux-mêmes, que le régime protecteur ne possédait pas les vertus qu’on lui avait attribuées, qu’au contraire il reposait sur des erreurs, et que la liberté commerciale était la seule doctrine vraie, la seule équitable, la seule conforme à l’esprit du siècle, la seule favorable à l’intérêt public, la seule avec laquelle on pût espérer de résoudre le difficile problème de la vie à bon marché. De formidables intérêts ont entrepris de s’opposer à cette innovation profonde. C’était la propriété territoriale, avec qui l’aristocratie britannique se confond ; c’étaient les propriétaires coloniaux, c’étaient les armateurs invoquant le préjugé, qui était resté général chez les Anglais, en faveur de l’acte de navigation de Cromwell. Malgré tous ces obstacles, le gouvernement anglais, secondé par l’opinion, est parvenu à faire triompher le principe de la liberté commerciale, et il l’a appliqué avec une résolution sans exemple. C’est une croyance universellement accréditée, en ce moment, parmi les bons esprits en Angleterre, que les sages mesures prises dans ce sens chez eux depuis 1842, et surtout depuis 1846, ont contribué, plus que toute autre cause, à empêcher les ébranlemens du continent, en 1848, de traverser le détroit. À la suite de l’Angleterre, plusieurs autres nations se sont prononcées de même. Nous vous invitons donc à délibérer, dans le plus grand détail, sur les effets du système protecteur, comparés à ceux que pourrait avoir la liberté du commerce, et à en faire connaître votre opinion motivée. »

Cette question aurait suffi à remplir la session du conseil général tout entière, car combien d’aspects divers n’a-t-elle pas et que de faits elle embrasse ! C’eût été une vaste enquête que de rechercher ce que chaque profession, chaque classe de la société retire du système protecteur et le prix qu’elle paie la protection ! Les membres du conseil général avaient qualité pour donner sur ce point les renseignemens les plus précis. Ainsi l’enquête, contradictoire comme elle eût été par la force des choses, eût offert un rare intérêt et eût été concluante ; c’est alors que les délibérations du conseil général auraient eu un rapport direct avec les embarras de la situation, car y a-t-il rien qui soit à l’ordre du jour plus que la nécessité de nous rapprocher de la vie à bon marché[1] ?

L’administration, intelligente comme elle est, n’eût pas eu de peine à trouver d’autres questions qui auraient réuni les conditions requises

  1. On avait d’abord inscrit sur le programme du conseil général un sujet qui n’est qu’un fragment de cette question de la liberté commerciale comparée à la protection, mais qui, pris convenablement, aurait pu conduire à la discuter tout entière, celui de la réforme des lois sur la navigation. On le retira après quelques jours.