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l’intelligence, ce n’est pas le talent qui ont manqué aux écrivains communistes ; quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, ce n’est pas même la bonne foi. Dans leur pérégrination aventureuse au milieu des problèmes sociaux, les mieux doués d’entre eux sont allés de la bizarrerie à l’extravagance, du sophisme au délire, parce qu’ils se sont mis en route, emportés par une fausse notion du bien public, sans avoir pour s’orienter le sentiment de la liberté, de cette liberté véritable, de cette liberté féconde et pure d’excès qui, je l’ai rappelé déjà, implique l’ordre et embrasse la justice. Analysez toutes les utopies socialistes passées et présentes ; vous verrez que telle est l’origine des aberrations qui les rendent chimériques ou exécrables.

L’administration a professé, dans tous ceux de ses documens où l’occasion s’en est offerte, l’opinion protectioniste. On peut remarquer que, par là encore, elle s’est aventurée jusqu’aux confins du socialisme, si même elle n’a franchi la frontière. Il ne suffit pas de s’écrier qu’on n’est pas socialiste et. qu’on repousse ce nom de toute la puissance de son être ; les exclamations sincères ne prouvent rien, si ce n’est qu’on se trompe de bonne foi. Je ne connais qu’une manière de montrer qu’on n’est point socialiste : c’est de ne pas partir des mêmes principes que les écoles ainsi dénommées. Or le système protectioniste et le socialisme ont la même source. L’un et l’autre procèdent par l’extension despotique de l’autorité de l’état et par la substitution de l’arbitraire à la justice. Lorsque l’état s’interpose pour me forcer d’acheter les articles qu’a manufacturés un Français au lieu d’autres de fabrique étrangère qui me plaisent davantage et que j’aurais à meilleur marché, l’état excède ses attributions légitimes ; il me prive d’une liberté naturelle, et il me taxe au profit d’un concitoyen qui n’est ou qui ne devrait être que mon égal devant la loi, auquel je ne dois aucune redevance par conséquent, pas plus qu’il ne m’en doit lui-même. Le protectionisme se pare de métaphores patriotiques ; mais le socialisme a ses métaphores philanthropiques, qui ne sont pas moins retentissantes. Le socialisme, s’il devenait la loi de l’état, violerait la liberté et la justice dans l’intérêt prétendu du grand nombre ; le système protectioniste contrevient à l’une et à l’autre dans un intérêt qui n’est pas aussi large, quelquefois au profit d’un tout petit nombre de personnes. Que ceux qui ne se paient pas de mots veuillent donc dire pourquoi, si le protectionisme est bien, le socialisme est mal, et comment, si le socialisme est digne des feux de l’enfer et des foudres de la société, le protectionisme a droit aux sympathies des hommes d’ordre et à l’appui cordial des pouvoirs de l’état.

L’administration, en présence du conseil général, a donc commis une double faute ; elle lui a assigné une tâche qui n’était pas ce qu’il fallait ; elle a assumé la responsabilité de doctrines fausses, à tendances