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les communistes, qui retirent au citoyen le droit d’exploiter la chose qui lui appartient et transportent ce droit à l’état, car elle se sera fait leur copiste. C’est pour le bien du public, dira-t-on ; eh ! c’est aussi ce que disent les communistes pour recommander leurs règlemens destructifs de la liberté et de la dignité humaines. Mais est-ce que la liberté du travail et de l’industrie n’est pas aussi réclamée par le bien public ? Est-ce qu’elle ne constitue pas un bien du premier ordre ? Est-ce que l’industrie peut avancer en tournant le dos à cette liberté ? Est-ce que l’expérience n’enseigne pas que, chez les nations modernes, une industrie asservie par les règlemens languit, tandis qu’une industrie libre grandit et prospère ? Sans doute, il est d’intérêt public d’avoir de bons chevaux ; mais prenez garde, si vous entreprenez de satisfaire l’intérêt public sans tenir compte de la liberté, la logique impérieuse vous poussera à d’étranges conclusions, et quelque jour vous seriez induit à faire un singulier usage de la lettre A au sabot du pied droit, car enfin la race chevaline n’est pas la seule qu’il soit d’intérêt public d’avoir belle. On ne contestera pas qu’il serait plus utile encore d’améliorer le type du roi de la création. Tirez la conclusion. — La conclusion est absurde, objectera-t-on, — parfaitement absurde, et c’est à titre d’absurdité palpable que je la fais apparaître. Assurément l’administration ne nourrit pas de pareils desseins. Tant que le portefeuille de l’agriculture et du commerce sera entre les mains du savant illustre auquel le président l’a confié, il n’en sortira aucune proposition de ce genre relativement à la reproduction de l’espèce humaine ; mais, tout absurde et tout impossible que cela soit, ce n’en est pas moins logique quand on a pris pour point de départ l’utile ou ce qui paraît tel, l’utile tout seul sans la liberté. Or toute doctrine qui conduit logiquement à de, monstrueuses conséquences est par cela même convaincue d’être fausse, d’être une doctrine de malheur.

Je crois devoir me justifier de citer, comme une conséquence directe et logique de la doctrine par laquelle l’administration a motivé sa proposition relative à la reproduction de la race chevaline, cette supposition grotesque d’un règlement analogue pour l’espèce humaine. De ma part ce n’est point pure fantaisie : c’est que d’autres ont tiré la conclusion très sérieusement, et quels autres ? des utopistes de la plus haute volée, dont quelques-uns de puissans esprits, qui avaient eu le malheur de recourir à la notion erronée et dangereuse que j’ai reproché à l’administration de s’être appropriée, celle de l’utile séparé de la liberté, ou, en d’autres termes, de l’utile accouplé à l’esprit ultra-réglementaire. Je renvoie à la République de Platon (livre V). Le grand philosophe grec veut que les magistrats s’immiscent dans l’union des sexes, à peu près comme le projet ministériel