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celui-là, au fond, est un socialiste, sous quelque drapeau qu’il affecte de se ranger, qui professe des opinions d’après lesquelles le progrès de la société devrait se chercher systématiquement en dehors des voies de la liberté et de la justice, dans l’accaparement par l’état d’attributions indéfinies et dans l’immixtion arbitraire du législateur parmi les relations des citoyens entre eux. À ce compte, il faut en convenir, le socialisme est une gangrène dont la société française est profondément atteinte. Et puis l’on s’étonne de ce que chaque jour les sectes socialistes gagnent ostensiblement du terrain dans notre malheureuse patrie ! Ces conquêtes ne sont que la constatation d’un mal qui préexistait. Ce sont des gens qui reconnaissent leur drapeau et qui vont s’y ranger.

Nous sommes voués au socialisme, parce que nous ne savons pas ou nous ne voulons pas être libres, nous ne savons pas ou nous ne voulons pas être justes. Il est impossible que nous échappions aux périls qui nous étreignent, à moins que nous ne prenions pour guides la justice et la liberté, et j’espère qu’on ne me fera pas de querelle pour penser ainsi, malgré le peu de vogue dont la liberté jouit aujourd’hui, si l’on veut bien remarquer que l’ordre véritable, celui qui dure, est impliqué dans la liberté, car la bonne définition de l’ordre consiste à dire, avec un contemporain illustre, que c’est la liberté collective de la société, comme au surplus on pourrait dire que la justice est la liberté réciproque.

Les sophismes socialistes se sont infiltrés dans les doctrines de l’administration elle-même ; ses communications au conseil général en fournissent la preuve.

Le reproche est grave, dira le lecteur. Sans doute ; mais est-il fondé ? Est-il vrai que dans plusieurs des propositions du gouvernement au conseil général perçaient les idées fausses qui sont au fond du socialisme, qui en forment le vice radical, indélébile, à savoir : l’absorption par l’état d’attributions qui, dans toute société libre, doivent rester livrées aux individus sous leur responsabilité, et la substitution de la volonté arbitraire de l’état à la justice, de sa partialité à des droits égaux pour tous ?

Qu’on prenne par exemple la série des propositions subalternes concernant la culture du lin, l’élève des vers à soie, les concours pour les races de bestiaux. Voici le gouvernement qui se laisse dire et qui se persuade qu’il est la providence de laquelle il dépend d’améliorer ces branches de l’agriculture. Quoi ! vous en êtes à ne pas comprendre que, pour tous ces soins, il faut s’en remettre à l’intelligence des cultivateurs, au désir qu’ils ont d’augmenter leur revenu et leur bien-être en travaillant ! Quelle opinion avez-vous donc de l’intelligence du peuple français, de son activité, de son esprit de conduite, de son aptitude à