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de l’état et au public, et qui se rapportassent franchement aux embarras de la situation.

À quels signes reconnaît-on les sujets sur lesquels il y a lieu de consulter une assemblée de ce genre ? Le conseil général ne fait pas de loi : il fournit des renseignemens à ceux qui ont charge d’en faire. Donc, pour qu’un sujet lui soit déféré, il faut que ce soit une question, c’est-à-dire une matière peu explorée encore. Du choc des opinions qui alors se produisent et se heurtent dans le sein du conseil général jaillissent pour l’administration les élémens de la solution, je veux dire d’un projet de loi. Nos voisins les Anglais, pour débrouiller les questions et fournir au débat public une base certaine, ont un mécanisme qui fonctionne fort bien, celui des enquêtes parlementaires. Investies d’une haute prérogative par le fait de la délégation émanée de l’une ou de l’autre chambre, les commissions d’enquête font venir qui leur plaît[1], l’interrogent comme elles le veulent, l’obligent à répondre catégoriquement, et celui qui leur aurait menti encourrait la rigueur des lois. Quand elles se jugent suffisamment éclairées, elles font un rapport, et la question passe ainsi à l’état de projet de loi. Chez nous, après avoir essayé des enquêtes qu’on entendait tout autrement que les Anglais[2], on a cru devoir y renoncer, et alors les conseils généraux de l’industrie, qui dataient d’un certain nombre d’années déjà, mais dont l’existence restait obscure, furent mis en œuvre avec un certain éclat. Ils n’ont de sens que si l’on veut qu’ils tiennent lieu des enquêtes à l’anglaise pour toutes les questions qui ont trait à l’activité industrielle du pays. Il ne peut rien en sortir d’utile que si on leur donne cette destination ; mais, conçus et maniés dans ce but, ils peuvent rendre de grands services[3].

  1. Une personne qui serait au bout de l’empire britannique, en Chine, est astreinte à se rendre à l’appel d’une commission parlementaire d’enquête.
  2. Les commissions d’enquête, quand on en a eu en France, ont presque toujours tenu leurs pouvoirs de l’autorité. Elles n’avaient que des témoins bénévoles qui disaient ce qu’ils voulaient. C’est à l’instar des commissions royales de l’Angleterre ; mais dans ce dernier pays les enquêtes parlementaires donnent le ton, et les commissions royales ont d’excellens résultats aussi.
  3. Dès 1819, M. Decazes avait institué auprès du ministère de l’intérieur des conseils généraux distincts pour l’agriculture et pour les manufactures. Ces conseils étaient même permanens et devaient avoir des réunions hebdomadaires ; mais ils cessèrent bientôt de fonctionner et tombèrent en désuétude. On les a relevés en 1831, époque à laquelle ils reçurent une organisation plus complète. Il dut y avoir alors trois conseils généraux, qui devaient être convoqués en même temps et travailler ensemble. À partir de 1836, les sessions prirent plus de solennité. En 1850, on a aboli la distinction des trois conseils généraux delibérant et votant séparémentl Il n’y a plus eu qu’un conseil général qui, pour la nomination des commissaires seulement, s’est fractionné en trois comités : celui de l’agriculture, celui des manufactures et celui du commerce ; c’est déjà une modification utile. Elle l’eût été davantage vraisemblablement, si le conseil se fût partagé en bureaux tirés au sort : c’eût été le moyen de rompre les coteries.