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vent assez pour redouter le sort de ce pays. Les efforts tentés par la diplomatie indo-britannique dans le but d’ouvrir des relations avec le Thibet ont même accru les soupçons et les terreurs qu’il s’agissait, disait-on, de calmer.

Après l’Angleterre, il est une autre nation européenne que les peuples de la Haute-Asie connaissent et redoutent : c’est la Russie. Si la Grande-Bretagne touche au Thibet par l’Inde et domine les côtes de la Chine, la Russie règne sur une partie de la Tartarie ; elle compte des bouddhistes et probablement des bouddha-vivans parmi ses sujets. À Londres ou à Paris, la Russie agit comme puissance européenne ; à Péking, elle est puissance asiatique, et entretient, à ce titre, avec le gouvernement chinois des relations que celui-ci n’ose pas interrompre.

Malgré l’absence de possessions territoriales, la France pourrait exercer en Asie une influence glorieuse entre toutes, et interdite à la Russie comme à l’Angleterre ; elle pourrait protéger les missionnaires, rendre leurs travaux plus faciles, moins onéreux et partant plus féconds. Agir ainsi serait, en même temps que son intérêt, son droit et son devoir, car elle est puissance catholique, et la plupart des missionnaires sont Français. L’œuvre que les prêtres de Picpus et des Missions Étrangères, les maristes, les fils de saint Ignace et ceux de saint Vincent de Paul vont accomplir chez les païens et chez les sauvages au péril de leur vie est sans doute essentiellement, je dirai même uniquement religieuse. Leur demander autre chose, ce serait les confondre avec les Pritchards du méthodisme, avec ces apôtres qui ont femmes et enfans, chevaux et domestiques, qui font le commerce et la banque, distribuent des bibles, vendent des remèdes, et cherchent à relever leur double caractère apostolique et industriel par un caractère politique. Les missionnaires du catholicisme ne sont nullement propres à tous ces métiers ; ils ne s’entendent qu’à propager l’Évangile. Néanmoins ils ne peuvent ni ne veulent dépouiller leur caractère national, et il suffit qu’ils disent aux néophytes : — Nous sommes Français, — pour leur faire aimer la France. C’est là une assertion dont l’histoire de nos anciennes colonies a depuis long-temps donné la preuve. Les Lettres édifiantes, que l’on a raison de louer et tort de ne pas lire, sont, sous ce rapport, particulièrement fécondes en enseignemens. Aujourd’hui encore on ignore trop ce que fait une mission française dans les pays où son action est libre.

J’ai dit plus haut que la congrégation de Saint-Lazare, dont nous venons de suivre deux membres au Thibet, évangélisait surtout le Levant. Dans la seule, ville de Constantinople, les lazaristes ont fondé depuis quelques années : 1° un collège, qui compte plus de 80 élèves ; 2° un internat où 160 jeunes filles reçoivent une instruction complète, et entretiennent, par le prix de leur pension, 60 orphelines ; 3° plu-