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plus être tendues. Les chameaux étaient gelés comme les hommes, et l’orage continuait. « Au milieu de cette affreuse situation, dit M. Huc, nous nous regardions mutuellement avec tristesse et sans parler ; nous sentions que notre sang commençait à se glacer. Nous fûmes donc à Dieu le sacrifice de notre vie, car nous étions persuadés que nous mourrions de froid pendant la nuit. » Ce dénoûment était d’autant plus à craindre, qu’il termine assez fréquemment les voyages en Tartarie ; mais la Providence voulait que l’entreprise des deux missionnaires réussît. Un nouvel effort d’énergie leur fit découvrir une grotte, où ils furent s’abriter. Des matières combustibles y avaient été laissées ; on alluma un feu magnifique, et la petite caravane passa de la mort à la vie. Le lendemain, la température se radoucit ; mais, au campement suivant, il gelait si fort ; que, pour faire boire les animaux, il fallut ouvrir la glace à coups de hache ; quand on voulut plier la tente, les clous et les pieux qui la soutenaient se brisèrent comme verre, et l’on ne put les arracher qu’après les avoir arrosés plusieurs fois avec de l’eau bouillante. À peine cette opération était-elle finie, que la chaleur força les missionnaires à quitter une partie de leurs vêtemens.

Les orages où se mêlent la pluie, la grêle et la neige n’ont rien que de très ordinaire en Tartarie : sans doute, ils ne vous font pas toujours passer de la température de l’été à celle de l’hiver le plus rigoureux ; mais leur inévitable résultat, c’est de mouiller le voyageur jusqu’aux os et de le condamner en même temps, par la destruction des argols, à passer plusieurs heures sans feu sous une tente dressée dans la boue. Cependant ces tempêtes aqueuses sont peut-être moins redoutables encore que les tempêtes de poussière et de sable telles que celle dont MM. Huc et Gabet eurent à souffrir dans le Kan-sou au moment où, après quatre mois de voyage, ils touchaient enfin à cette partie de la Tartarie où domine l’élément thibétain. Tout à coup il se fit un silence complet dans l’atmosphère, et la température devint extrêmement froide ; bientôt le ciel prit une couleur blanchâtre, le vent d’ouest se mit à souffler avec violence, et la caravane fut à tel point enveloppée de sable et de poussière, qu’on ne voyait plus rien ; chacun s’accroupit par terre au plus vite, les yeux fermés et la tête couverte. Cela dura plus d’une heure. Si un tourbillon semblable, au lieu d’envelopper les voyageurs sur un terrain ferme, les avait atteints quelques jours plus tôt, dans le royaume des Alechans, ils étaient perdus. Les Alechans sont une longue chaîne de montagnes de sable fin et mouvant ; à chaque pas, les chameaux y enfoncent jusqu’au ventre et les chevaux n’y peuvent avancer que par soubresauts. Malheur au voyageur qui s’y trouve au moment d’une tempête ! Il est enterré vivant. MM. Huc et Gabet eurent constamment, dans ce dernier pays, un temps calme et serein. Ils n’y furent même pas trop rançonnés dans les rares au-