Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/1007

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus persévérant qu’on pouvait rarement l’assouvir, assaisonnait ce repas d’anachorète. Pendant que Samdadchiemba mettait la dernière main à l’équipement des chameaux, les missionnaires lisaient une partie de leur bréviaire, puis on partait. Comme le déjeuner prenait peu de temps, les diverses occupations de la matinée n’empêchaient pas qu’on ne se mît en route à une heure où bien des gens ne songent nullement à se lever. Le pays offrait parfois des aspects peu variés ; mais la possibilité de se trouver en face d’animaux féroces ou de voleurs, la crainte de s’égarer, la rencontre de quelque famille tartare en quête d’un pâturage ou d’une compagnie de pèlerins se rendant au Thibet, par-dessus tout la fatigue, empêchaient de songer à la monotonie du paysage ; c’est là, en effet, un inconvénient dont on ne s’aperçoit que si on n’a rien de mieux à faire ni à penser. Or, chez les deux missionnaires que nous suivons au Thibet, l’esprit travaillait comme le corps. À midi, on faisait halte ; un repas semblable à celui du matin et quelques instans de sommeil permettaient d’arriver à la station du soir. Quand on pouvait dresser la tente près d’un étang ou près ; d’un puits ; quand on avait, pour s’abriter du vent, le mur aux trois quarts écroulé d’une de ces villes désertes dont on rencontre assez souvent les ruines en Mongolie ; quand le terrain n’avait pas été détrempé par un orage, que les argols étaient abondans et secs, la soirée devenait une véritable récréation. Samdadchiemba préparait le thé en gourmet et le consommait en glouton, tandis que MM. Huc et Gabet contemplaient avec une émotion sans cesse renaissante la beauté que l’approche de la nuit donnait au désert. À mesure que l’obscurité s’accroissait, la scène devenait plus bruyante, plus animée ; les oiseaux, qui le jour semblaient muets et souvent étaient invisibles, remplissaient les ails de mille sons rauques et stridens. Quelquefois des voix d’animaux féroces venaient se mêler à ce concert : l’émotion changeait alors de nature ; mais, si désagréable qu’elle fût sur le moment, elle finissait par avoir un certain charme comme souvenir. Samdadchiemba ne s’expliquait guère le goût des missionnaires pour la contemplation, mais il l’approuvait, convaincu par expérience que les distractions que le paysage donnait à ses convives lui assuraient une plus abondante part de thé et de gâteaux ; car c’était là d’ordinaire le repas du soir comme celui du matin et de midi. Quelquefois cependant les missionnaires tentèrent de faire apprécier à leur compagnon la supériorité de la cuisine européenne ; mais, la plus rigoureuse économie étant indispensable, ils se contentaient le plus souvent de gâteaux de millet cuits sous la cendre, de pan-tan, farine d’avoine délayée dans de l’eau bouillante, et de thé en brique. On appelle ainsi le thé en usage chez les Tartares, et dont ils ont fait la base invariable de tous leurs repas ; on sait que les Chinois préparent leur thé avec les feuilles lis plus petites et