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Cette simple idée d’un rapprochement libre et amical, flatteur pour l’ouvrier sans offrir rien dont la dignité des classes aisées pût souffrir, méritait le meilleur accueil. Dans mon humble opinion, si on la mettait seule dans un des plateaux de la balance, en plaçant de l’autre côté le programme tout entier de la commission, son rapport et ses promesses, c’est elle qui l’emporterait. Alors je me demande comment il a pu se faire que la commission, qui en était officiellement saisie, n’ait pas cru devoir y accorder la moindre mention dans son rapport général.

Autre lacune, qui frappe le lecteur attentif : la commission a entièrement laissé de côté une question éminemment pratique et bien intéressante, celle du personnel de la bienfaisance publique. À cette question s’en rattache, par un lien étroit, une autre dont l’importance est aisée à sentir : y aurait-il moyen de faire concorder dans un assez grand nombre de cas, la bienfaisance publique et la bienfaisance privée, en donnant à celle-ci, autant qu’elle y pourrait consentir, une action collective par une certaine organisation du personnel charitable, organisation qui serait sanctionnée par la loi et tirerait de la loi une certaine force ? Cette question a été traitée par un homme généreux, M. Armand de Melun, dans un petit écrit que tout le monde a entre les mains[1]. La bienfaisance privée, quand elle agit collectivement, est non-seulement plus éclairée ; mais encore plus active que lorsque chacun suit son impulsion solitaire ; elle y gagne, donc beaucoup en utilité. Jusqu’à quel point la loi peut-elle intervenir, non précisément pour réglementer cette action collective, mais pour la faciliter ? N’existe-t-il pas des corps qui deviendraient naturellement les centres de cette action collective ? En d’autres termes, convient-il ou ne convient-il pas d’agrandir le rôle qu’ont si naturellement déjà le clergé et les communautés religieuses dans l’œuvre de la bienfaisance, en respectant la liberté de tous ? Je n’ai pas la prétention de résoudre cette question, je l’énonce, on en reconnaît, sur le simple énoncé, la grande portée, et, sans être injuste, on peut reprocher à la commission de ne l’avoir pas abordée.

Il y aurait maintenant à examiner le rapport d’un point de vue tout différent, duquel on domine mieux le sujet. Dans la série des chapitres que nous avons passés en revue, sur les traces de la commission, à chaque pas pour ainsi dire on se heurte contre une pierre d’achoppement, qui est toujours la même : la pauvreté de la société. Multiplier les crèches, les salles d’asile, les maisons d’aveugles et de sourds-muets, serait très bien ; mais il faudrait pour cela augmenter les impôts, et la société française est déjà trop chargée, elle est trop pauvre. La loi sur le travail des enfans est une loi d’humanité, mais ce sont les parens d’abord qui se refusent à s’y conformer ; ils ne sauraient

  1. De l’intervention de la Société pour prévenir et soulager la misère.