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ou de leur profession dans la ville, qui y seraient beaucoup moins portées, si leur largesse devait aller s’engloutir dans une caisse unique ; dont l’avoir profiterait à la France entière. C’est un aspect de la question qui a échappé à la commission, quoiqu’il eût été signalé par plusieurs personnes.

La retenue obligatoire une fois écartée, la caisse des retraites, ne s’alimentant plus que de dépôts volontaires, devient urge institution fort désirable. Le gouvernement la proposait peu de semaines avant la révolution de février, il avait bien raison ; il l’aurait eu davantage, si la proposition fût venue quelques années plus tôt. La commission cependant y est peu sympathique. Elle n’y consent, que par manicle de concession aux erreurs du public, comme pour faire la part du feu. On n’aurait songé à la caisse des retraites, suivant elle, qu’au mordent où les fausses doctrines, inventées pour séduire et tromper la multitude, commençaient à élever comme le lit d’un torrent qui, déborde. L’appréciation est injuste. Qu’on dise que l’ouvrier qui met des fonds à la caisse d’épargne, qui les y laisse prudemment grossir, et se forme un petit capital avec lequel il devient chef d’industrie à son tour sur une petite échelle, est un homme très recommandable, qui enrichit la société en lui formant du capital, en lui suscitant en sa personne un membre de plus en plus utile, par la sollicitude duquel une famille tout entière sera élevée à une condition bien meilleure, on n’exprimera rien que de vrai ; mais faudra-t-il réprouver comme un égoïste (le rapport ajoute à vue assez étroite)[1], celui qui, au lieu d’aller à la caisse d’épargne, passe à la caisse des retraites, pour y placer 20 ou 30 francs par an, dans la supposition même où nette caisse serait constituée sur la base des tontines, et où par conséquent l’argent qu’elle recevrait serait placé à fonds perdu ? Tenons compte de ce que le même homme, dans le même esprit, se cotisera vraisemblablement de 20 ou 30 francs par an aussi pour la caisse de secours mutuels. Or, quand un ouvrier a distrait de son salaire une somme annuelle de 40 à 60 francs, il a déjà fait beaucoup ; je suppose un ouvrier ordinaire et non l’homme d’élite, qui reçoit un salaire exceptionnel. Si, au lieu d’aller frapper à la porte de la caisse des retraites, il eût pris le chemin de la caisse d’épargne, et qu’il y eût déposé 20 ou 30 francs, est-ce qu’il aurait pu avoir amassé, une fois à la force de l’âge, une somme qui lui permît de rien entreprendre ? Non, car il faut une durée de trente-six ans pour qu’un dépôt de 30 francs par an engendre, avec les intérêts cumulés, une somme de 3,000 francs. Au moins dans ce cas, dira-t-on, il eût mieux agi dans l’intérêt de ses

  1. Page 118, plus loin, page 119, il est dit un égoïste insouciant ; on va jusqu’à dire, page 131, qu’admettre le principe des tontines, c’est passer par-dessus toutes les raisons de moralité et de propriété.