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Nous l’avons entendue dans deux concerts qu’elle a donnés dernièrement au Conservatoire ; mais, avant d’apprécier un talent encore si admirable, on nous saura gré peut-être de raconter brièvement la jeunesse de cette femme célèbre, tant éprouvée par la destinée.

Henriette Son tag est née à Coblentz, le 13 mai 1805 ; d’une de ces familles de comédiens nomades dont Goethe nous a donné, dans son Wilhelm Meister, la poétique histoire. Éclose, comme l’alcyon, sur la cime des flots orageux, elle connut de bonne heure les vicissitudes et les épreuves de la vie d’artiste des l’âge de six ans, elle débuta à Darmstadt dans un opéra très populaire en Allemagne, la Fille du Danube (Donau Weibchen), où, dans le rôle de Salomé, elle fit admirer les graces enfantines de sa personne et la justesse de sa voix. Trois ans plus tard, ayant perdu son père, Henriette Sontag se rendit avec sa mère à Prague, où elle joua des rôles d’enfant sous la direction de Weber, qui était alors chef d’orchestre du théâtre. Ses succès précoces lui firent obtenir, par une faveur toute particulière, la permission de suivre les cours du conservatoire de cette ville, bien qu’elle n’eût pas encore atteint l’âge fixé par les règlemens. C’est là que, pendant quatre ans, elle étudia la musique vocale, le piano et les élémens de la vocalisation. Une indisposition de la première cantatrice du théâtre lui permit d’aborder, pour la première fois, un rôle assez important : celui de la princesse de Navarre de Jean de Paris, de Boieldieu. Elle avait alors quinze ans. La facilité de sa voix, ses formes naissantes, qui,

Comme les nœuds formés sous l’écorce des saules,
Qui font renfler la tige aux sèves du printemps,


laissaient entrevoir la beauté future, le trouble qui soulevait son cœur et le remplissait de mystérieux pressentimens, lui valurent un succès qui était de bon augure pour l’avenir de son talent.

De Prague, Henriette Sontag se rendit à Vienne, où elle rencontra Mme Mainvielle-Fodor, dont l’exemple et les bons conseils développèrent les heureuses dispositions qu’elle avait reçues de la nature. Chantant alternativement l’opéra allemand et l’opéra italien, elle put s’essayer ainsi dans ces deux langues si différentes, et se donner le temps de choisir entre les radieux caprices de la musique italienne et les accens sobres et profonds de la nouvelle école allemande. Un engagement lui ayant été proposé, en 1824, pour aller chanter l’opéra allemand au théâtre de Leipzig, elle se rendit dans cette ville, foyer de discussions philosophiques et littéraires, et s’y acquit une grande renommée par la manière dont elle sut interpréter le Freyschütz et l’Eurianthe de Weber.Les admirateurs du génie de ce grand musicien se composaient de la jeunesse des universités et de tous les esprits ardens et généreux qui voulaient soustraire l’Allemagne à la domination étrangère aussi bien dans l’empire de la fantaisie que dans celui de la poétique ; ils acclamèrent avec enthousiasme le nom de Mlle Sontag, qui se répandit dans toute l’Allemagne, comme celui d’une virtuose de premier ordre, appelée à renouveler les merveilles de la Mara. C’était à Leipzig que la Mata, cette fameuse cantatrice allemande de la fin du XVIIIe siècle, avait été élevée par les soins du vieux professeur Hiller. On savait gré à Mlle Sontag de consacrer un organe magnifique et une vocalisation peu commune