Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VIII


Comme les naufragés, dans l’antique Odyssée,
Les proscrits, de leurs fronts secouant l’eau glacée,
Regardent derrière eux. Au loin, sous le ciel noir.
Une maison brûlait, sans que l’on pût savoir
Si, dans le fond du golfe où la ville repose,
C’était un incendie ou quelque apothéose ;
Enfin le sentiment de la sécurité,
La chanson que les flots leur chantaient à côté ;
La fatigue, la nuit, ont fermé leurs paupières ;
Le guide a rassemblé des branches et des pierres,
Et des rudes sayons que la flamme a séchés
Leur a fait une tente où tous se sont couchés.
C’était un beau spectacle, à la clarté rougeâtre
Qui des monts et des mers dorait l’amphithéâtre,
Que ce bivouac étrange et ce grand nid d’aiglons,
Sous l’aile de la mère endormis dans les joncs.
Deux êtres veillaient seuls aux bords de la Gravone,
Qui berçait les proscrits de son bruit monotone :
Le jeune montagnard attisant le brasier,
Et le vieux Colombo qui broutait l’arbousier.

IX


Le lendemain matin, lorsqu’au-dessus de l’onde
L’aurore aux voyageurs montra sa tête blondes
Un bâtiment léger parut à l’horizon,
La plus fière au combat des mouches de Toulon,
De ces oiseaux de ruer, de ces fines voilières
Portant une dépêche à travers les croisières.
C’était le général qui l’envoyait chercher
Ce qu’il avait, en Corse, au monde, de plus cher.
Une chaloupe vint à la côte, rapide,
Qui les prit tous à bord, tous, excepté le guide.
Debout sur un rocher et les suivant des yeux,
Il leur fit, de la main, le geste des adieux ;
Tant qu’il put du regard les suivre dans l’espace,
Il fit le même signe à cette même place ;
Puis, les voyant sauvés et hors de tout péril,
Le chasseur, en partant, déchargea son fusil.