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Bavière : son histoire est presque un roman. Il entra d’abord à l’école des cadets de Munich, puis, à la suite de quelques étourderies, fut envoyé dans un régiment de chevau-légers ; mais son imagination ardente, son amour des aventures allait bientôt l’entraîner à de nouvelles folies : il déserta et passa en France. Accueilli froidement, comme le sont toujours les déserteurs, il fut inscrit sur les contrôles de la légion étrangère. À peine arrivé en Afrique, sa déception fut plus cruelle encore, et, toujours entraîné par ce désir des choses inconnues qui le tourmentait, il passa un beau matin aux Arabes. Il y est resté trois ans. Enlevé d’abord par des Kabyles ; on le vendit sur un marché un chef de l’intérieur à un chef de tribu des Beni-Moussa ; après un an de domesticité, il parvint à s’échapper de la tente de son maître et se mit en route, les jambes nues, le burnous sur les épaules, la corde de chameau autour de la tête et le bâton du pèlerin à la main, se dirigeant au sud à la grace de Dieu. Il alla ainsi jusqu’au désert, s’arrêtant chaque soir au milieu d’une tribu nouvelle et s’y annonçant par le salut habituel du musulman « Eh ! le maître du douar ! un invité de Dieu ! » À ce titre ; bien accueilli, il recevait le manger ; l’abri, et repartait le lendemain sans que jamais un Arabe lui ait dit : « Où vas-tu ? » Cela ne regardait personne, et personne ne s’en inquiétait. Il suivait sa destinée. Glockner traversa ainsi une partie du Sahara et arriva jusqu’à la ville de Tedjini, Aïn-Mhadi ; de là, il est allé à Boghar, Taza, Tekedempt, Mascara, Médéah et Milianah, puis, enrôlé de force parmi les réguliers d’El-Berkani, il a fait avec eux les campagnes de 1839 et 1840. Décoré par Abd-el-Kader à la suite d’une blessure reçue le 31 décembre 1839, blessure qui lui a été faite, à ce qu’il croit, par un capitaine adjudant-major du 2e léger, après avoir encore couru le pays, il nous revient comme l’enfant prodigue, gémissant sur ses folies, songeant en pleurant à sa famille, à son père surtout, et demandant en grace d’être inscrit comme soldat français. Lorsqu’on lui a parlé de retourner à la légion : « Oh ! non, je vous en supplie, ne me renvoyez pas à la légion, a-t-il répondu ; laissez-moi dans un régiment de France, dans vos zouaves dont le nom est connu de toute l’Europe ; vous serez contens de moi. » On l’a engagé comme indigène sous le nom de Ioussef ; il n’a que vingt et un ans, est frais comme un enfant, timide comme une jeune fille et d’une simplicité de maintien et de langage vraiment merveilleuse[1].

  1. La fin de l’histoire de Glockner est digne du commencement. Inscrit aux zouaves, sa conduite fut admirable. À toutes les affaires où il se trouva, il aurait mérité d’être cité. Nommé caporal, puis sergent, il fut envoyé à Tlemcen lors de la formation du 3e bataillon. Recommandé par le colonel Cavaignac au général Bedeau, il rendit de grands services par son intelligence et sa connaissance de la langue arabe. Son père, à qui l’on avait écrit en Bavière, avait confirmé la vérité de ses paroles. Il était heureux, traité avec considération, lorsqu’un beau jour il partit avec un prisonnier politique à qui l’on venait de rendre la liberté, et passa au Maroc. Il y séjourné long-temps ; enfin, il a regagné Tanger, et, renvoyé comme déserteur par notre consul, il allait passer au conseil de guerre, lorsqu’en considération de ses anciens services, on continua à le traiter en Arabe. Cette manie des voyages est chez lui vraiment extraordinaire, et Glockner prétend qu’il ne voit pas un endroit inconnu sans que le désir de l’explorer ne s’empare de lui.