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que l’auteur d’Atta-Troll avait lancée sur ses campagnes et sur ses histoires de la Péninsule répondait dans le temps à un sentiment assez unanime. Les allures de spadassin et l’humeur cassante du gentilhomme errant n’avaient point prévalu jadis contre cette sorte de répulsion dont il restait encore quelque chose chez les honnêtes gens ; ses bonnes fortunes même avaient été trop publiques et trop comptées. La fin déplorable de Félix Lichnowski a couvert d’une ombre protectrice toutes les fautes de sa vie en lui ôtant le loisir de les réparer. Il est tombé noblement ; il ne s’est point abaissé devant la mort que lui apportaient d’affreuses mains, et, s’il avait méconnu quelquefois le vieil honneur nobiliaire en face du monde des plaisirs et des industries, il a retrouvé devant les bourreaux de l’anarchie tout l’honneur d’un soldat. La postérité n’en demandera pas plus à cette existence si courte ; elle ne connaîtra que la gloire de ses derniers momens.

Mme Aston a voulu lui en apprendre davantage : elle a eu le courage de soulever les linceuls ensanglantés pour fouiller les secrets du mort ; elle a écarté ce voile de miséricorde et de respect qui devait le défendre contre l’indiscrétion de souvenirs trop profanes. Elle a été ressusciter Lichnowski sous la terre sanglante où il avait cruellement acheté le droit de reposer en paix, et pourquoi ? pour emprunter à sa mémoire un sujet de roman, pour broder à ses dépens sur les rumeurs assoupies de la chronique scandaleuse les fictions indécentes de sa propre invention. Elle s’est acharnée à mettre en une lumière sinistre ou honteuse cette ombre déjà effacée ; elle l’a poursuivie de ses invectives, de ses médisances ; elle l’a bafouée, calomniée avec une colère ; inexplicable, et il est vraiment impossible de croire que la passion politique ait seule inspiré cette rage féminine On dirait quelque maîtresse délaissée qui jette du vitriol à la face de son amant ; mais c’est un pâle visage de cadavre que Mme Aston prend ainsi plaisir à déshonorer, et l’on ne sait ce qui manque le plus dans cette indignité, ou du cœur ou de la pudeur.

L’indignité est d’ailleurs d’autant plus choquante, que l’esprit et la vengeance de la femme s’y laissent partout reconnaître à des marques trop certaines. Mme Aston ne s’est pas contentée de nous découvrir que le prince Lichnowski était un parjure et un fourbe en politique ; elle lui trouve des torts d’un tout autre genre, mais presqu’également irrémissibles : « sa chevelure bouclée aurait à merveille accompagné son visage, si son front n’eut été trop bas de quelques lignes ; il y aurait eu une gracieuse nonchalance dans la manière dont il posait ses gants sur le bord de son chapeau, si cette grace avait pu ne pas être affectée chez une nature qui n’était point réellement aristocratique. » Est-il rien de plus ridiculement odieux que ces réminiscences de boudoir dardées comme des coups d’épingle dans cette chair dépecée par les faux et les coutelas des bandits lui ont les sympathies déclarées de Mme Aston ?