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Maygars quand Vienne a succombé ; il est blessé à Kapolna ; il revient mourir sous le toit de la famille d’Elfride, en causant politique avec l’idole de son ame. Elfride passe aussitôt à l’état de femme de lettres. Tel est du moins, pour moi, le sens de ces dernières paroles que lui consacre Mme Kapp :

« Elfride sentit ses yeux s’obscurcir de larmes ; mais elle ne permit point à ses larmes de tomber sur la poussière de la terre, à laquelle l’ame de Pierre Meyer avait si victorieusement échappé. Pleine d’espérance, elle lui tressa une couronne de lauriers, et garda son souvenir en elle, comme la rose garde dans son calice les gouttes d’une pluie d’orage. Lorsqu’elle exprima son souvenir dans ses chants, on eût dit la vapeur écumante, la fougue déchaînée du jus de la grappe. »

N’entendez-vous pas, dans cette phraséologie, l’écho lointain et grossier, de George Sand à ses heures de mauvais style ? Le mauvais se prend là-bas plus que le bon.

Toutes ces figures, si germaniques qu’elles soient, portent ainsi des masques où notre empreinte est encore fraîche, et c’est cette laide empreinte que je ne me lasse pas de montrer. Reste, pour compléter la galerie, les portraits des deux principaux personnages, de l’épouse parfaite et de l’époux corrigé, de Manhold et de Nanna Manhold n’a point de destination politique dans le roman de Mme Kapp ; il représente une mission d’un ordre encore supérieur. Ce n’est pas que son opinion soit douteuse, il voit clair aux destinées du monde ; il croit fermement que les idées qui le traversent maintenant « à la manière des comètes et des étoiles filantes » le vaincront un jour ; il est « sûr que le messie est déjà né. » Sa femme même ; la magnanime Nanna, est au moment de l’envoyer, n’importe où, siéger sur les bancs de quelque montagne, ou tirailler derrière les pavés de quelque barricade ; mais il lui expose humblement qu’il n’est pas encore assez fixé dans le pays pour être député, et qu’il est déjà de sens trop rassis pour s’aller faire tuer mal à propos. Ce n’est pas là son rôle. Il a été créé et baptisé pour être l’incarnation d’un dogme humanitaire, de la doctrine du châtiment Sans douleur et de l’expiation agréable. On se souvient peut-être encore un peu de l’an de grace et d’imprévoyance où la société polie se nourrissait assidument du pain quotidien que lui pétrissait le génie philanthropique de M. Eugène Sue. Hélas ! qui est-ce qui n’en a pas vu manger de ce pain-là, bravement, sérieusement, en famille, entre gens éclairés de la meilleure compagnie,entre conservateurs progressistes ? et comme on le digérait avec aise ! et comme on discutait d’un beau sang-froid les méthodes pénitentiaires de l’auteur des Mystères de Paris, les procédés nouveaux à l’aide desquels il moralisait les assassins en évitant de les trop chagriner, — l’assassin par brutalité