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deux époux vivent heureux avec leurs filles, quoique l’histoire n’ajoute pas qu’ils aient eu d’autres enfans.

Telle est en raccourci la fable de Mme Kapp, et, réduite à ce trait rapide, elle ne diffère pas beaucoup d’un conte de Berquin. Il n’y aurait point lieu d’y prendre plus d’intérêt, n’était la broderie de la berquinade. Cette broderie n’est point de l’invention de l’auteur ; elle est empruntée à tous les artistes que nous avons eu le bonheur de posséder chez nous. Plus le fond lui-même, qui est bien à Mme Kapp, paraît pauvre et dénué, plus il est évident que Mme Kapp n’est pas responsable du luxe de ses fioritures. Elle n’a fait que se baisser pour ramasser à pleines mains le goût du siècle, le nôtre en particulier, et il ne laisse pas d’être piquant de le trouver ainsi jeté par poignées sur cette historiette enfantine comme du gros sel ou du poivre long dans une jatte de lait. Ce Manhold aurait pu vivre à toutes les époques qu’on eût voulu ; rien n’empêchait de l’habiller en costume Louis XV ou Louis XIV, même de le barder féodalement. Sa Nanna était un pendant comme un autre à la Griseldis du moyen-âge. Mme Kapp a décidé que ses héros seraient nos contemporains de l’année dernière, et qu’ils parleraient tous les jours de la révolution allemande du mois de mars 1848 : Aussitôt que nous sortons du vallon fleuri de la Terre-Rouge et des tonnelles de la petite maison blanche, nous tombons en plein gâchis révolutionnaire. Rien n’y manque : ni les conquêtes de mars (Moerz-Errungenschaften), mot sonore et chose éphémère, comme tous les vocables issus de pareilles conjonctures, comme toutes les glorieuses que nous avons nous-mêmes baptisées, ni la croisade nationale contre le Danemark, ni le parlement de Saint-paul, ni le fameux armistice de Malmoë, ni l’émeute de Francfort, ni l’admiration béate pour les étudians de l’Aula viennoise, ni la sainte horreur pour les manteaux rouges de Jellachich. On dirait que Mme Kapp, a pris à tâche d’enfourner de gré ou de force tous les événemens de l’année courante, pour se donner plus d’actualité, comme nous disons dans nôtre patois d’aujourd’hui.

Ses personnages sont eux-mêmes mêlés à toute la bagarre. Le fils légitime du comte Moenheim, le Paul Robert qui vient dépouiller Manhold en lui restituant, le désavantage de sa descendance authentique, Paul Rollert est un député de Francfort qui siège à l’extrême gauche selon les principes républicains puisés à l’école de son père ; putatif ; mais bon sang ne peut mentir, et l’aristocrate sans le savoir gronde d’instinct sous sa peau démocrate. « Il avait de beaux yeux brun-clair que ses profondes et sombres pensées avaient changés en une paire de cavernes incendiées par la flamme d’une ame passionnée. Et quand on le voyait ainsi rêver, on avait tout de suite besoin de reposer ses regards dans les clartés azurées, des cieux. » C’était donc un de ces radicaux comme il y en a tant, un radical par mauvaise humeur,