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d’après son aveu, Mme Aston se proposait de mener à Berlin n’était rien de moins que cette vie d’honnête homme telle que l’entendaient Aspasie et Ninon, au milieu du commerce des beaux esprits et des galans cavaliers ; mais, songez un peu, Ninon côte à côte avec de jeunes hégéliens armés de leurs pipes ! mais Aspasie habillée des vieilles modes parisiennes ! Une semblable métempsycose était un châtiment trop cruel pour la mémoire de ces défuntes pécheresses. Mme Aston a lutte bravement contre l’impossible ; son pamphlet justificatif témoigne en même temps et du genre d’idéal qu’elle ambitionnait d’atteindre et du malheur de ses aspirations. Je traduis fidèlement le début de ce récit où l’auteur entre de lui-même en scène beaucoup plus que je ne me serais permis de l’y mettre.

« J’avais déjà par devers moi les émotions d’une vie trop agitée, lorsque je vins fixer mon séjour à Berlin. Mariée très jeune à un homme qui n’était qu’un étranger pour mon cœur, avant même que l’instinct de l’amour fût devenu vivant en moi, solitaire et désolée au milieu de la situation la plus brillante, avec tous les dehors de la félicité, j’ai appris de bonne heure à connaître la vie moderne dans toutes ses contradictions ; j’ai connu le plus violent de ses conflits, celui qui anéantit le cœur de la femme, celui qui menace d’arracher l’ordre asocial de ses gonds, le conflit de l’amour et du mariage, de l’inclination et du devoir, du cœur et de la conscience.

« Les femmes qui ont en partage une possession paisible et un bonheur idyllique ne comprendront pas cette lutte.. Quand on est à l’abri sur la rive, il est facile de défier et de braver l’orage qui bat et dompte l’esquif en pleine mer. J’ai profondément senti ce que la voix prophétique d’une George Sand annonçait aux générations futures : la douleur du temps, le gémissement de la victime torturée jusqu’à mourir dans des liens contre nature. Je sais à quelles indignités une femme est exposée sous la sainte protection de la morale et de la loi ; je sais comment les pénates protecteurs du foyer ne sont plus au besoin, que des épouvantails inutiles, comment le droit vient en aide à la force brutale ; je n’écris pourtant ni un roman ni une biographie : — notre mariage fut rompu. »

Ne voulez-vous pas redire avec moi le doux et antique refrain pour chasser les miasmes de cette atmosphère de sigisbéisme ?

Casta vixit,
Lanam fecit,
Domum servavit.

Ne trouvez-vous pas qu’après avoir flairé cette fade senteur d’alcôve, il fait bon respirer la saine odeur de vertu qu’exhalaient nos vieilles mœurs de ménage ?

Je suis convaincu que M. Aston avait tous les torts du mari d’Indiana, et que son prétendu droit n’était qu’impertinence pure ; mais comprenez-vous maintenant ce que je voulais dire, quand je parlais