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Casta vixti,
Lanam fecit,
Domum servavit.

Adieu la noble vie de la femme forte ! Écoutez les modernes apophthegmes. De la femme libre :

« Notre plus haut droit, à nous femmes, notre plus haute consécration, c’est le droit de la libre personnalité, le droit de développer tout notre être sans être empêchées ni gênées par aucune force étrangère, le droit d’obéir librement aux puissances intérieures qui font l’harmonie de l’ame, lors même que cette harmonie peut paraître une dissonance en face des croyances qui règnent dans le monde. »

Après la proclamation du droit, la sanction qui le protége. De par sa libre personnalité, Mme Aston veut bien se déshabiller elle-même devant le public, comme on va le voir ; mais elle dévoue aux dieux infernaux quiconque respecte assez médiocrement cette personnalité orageuse pour lui demander compte de ses orages.

« Celui qui touche au droit de la personnalité commet un acte de violence brutale, celui qui tire du sanctuaire de notre cœur nos sentimens et notre foi, résultat de nos destinées, propriété de notre vie, pour les jeter à découvert sur la place publique, dans la salle d’un tribunal, sous les pieds de la multitude, celui-là peut bien avoir dans ses mains les balances de la justice, il n’en pèche pas moins contre le salut de notre ame ; il se rend coupable d’un sacrilège dont le jugement de l’histoire ne l’absoudra pas. »

Voilà qui va droit à l’adresse de M. de Bodelschwing et de M. de Manteuffel, car ce n’étaient pas des moralistes de moindre étage qui avaient entrepris de donner sur les doigts à la personnalité de Mme Aston ; et voici maintenant, pour clore cette introduction, Mme Aston elle-même se regardant poser devant ses persécuteurs :

« O Grèce ! ô belle Grèce ! tes autels et tes temples sont renversés, ta splendeur est évanouie et ce qui survit maintenant au fond des grande cœurs, c’est le souvenir d’une des hontes de ton histoire, de ce pouvoir obscurantiste qui s’institua le juge des libres penseurs et traduisit une Aspasie à sa barre pour crime d’impiété ! Les générations passent, et les peuples et leurs dieux, mais le préjugé est immortel.

« Signé, Louise Aston. »

Ce n’est pas un caprice de style, un hasard de rhétorique qui réunit dans une même phrase au nom de l’auteur prussien le nom mélodieux de l’amie de Périclès. La figure d’Aspasie exerce évidemment sur Mme Aston une fascination inquiétante. Le rôle qui dans son roman a été l’objet de toutes ses complaisances est un rôle de femme à la fois politique et légère, qui serait bien vraiment une Aspasie berlinoise, s’il pouvait y avoir d’Aspasie ailleurs que dans Athènes. La vie que,