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propos de dédier à cette intrépide un poème qui donnait à la Madeleine, probablement avant sa repentance, un avantage trop marqué sur la froide madone. Cette femme, qui avait pourtant, hélas ! une petite fille de quatre ans, était Mme Aston. Berlin jouissait alors du gouvernement de l’état chrétien. L’état chrétien est une invention si profondément germanique, archéologique, théologique et royale, qu’il faudrait un trop long commentaire pour en donner l’idée à des lecteurs français et républicains de n’importe quelle république, c’est-à-dire iconoclastes de toute façon. Ce que j’en puis au plus dire en passant, n’est que l’état chrétien se distingue surtout par la manière peu sentimentale dont il fait la police. La police pria, Mme Aston de ne point inquiéter plus long-temps la vertu berlinoise par les exemples qu’elle prodiguait, ou par les rumeurs qu’elle causait. Littéralement, on lui signifia d’avoir à déguerpir sous huit jours. Je voudrais de bonne foi me persuader que la police ne fut pas en cela très noire, et franchement, à lire le récit de cette expulsion, écrit par Mme Aston elle-même, on conçoit que la patience ait manqué, particulièrement à des bureaucrates prussiens. Si Platon chassait les poètes de sa ville modèle, qu’eût-il fait de cette poétesse ? Mais moi qui n’ai pas de goût pour habiter la cité de Platon, quand même nos modernes badigeonneurs la recrépiraient à neuf, j’en reste à mes vieilles erreurs libérales, et j’avoue humblement que la police se conduisit là fort mal envers Mme Aston.

Voyez aussi la conséquence ! Mme Aston aurait peut-être épuisé son originalité le plus innocemment du monde dans la publication de ses Roses sauvages, des vers du cœur qu’elle était alors en train de préparer ; elle n’aurait pas eu les honneurs du martyre ; et n’ayant point pris de position officielle parmi les femmes victimes des préjugés sociaux, elle n’eût pas été, j’aime à le croire, jusqu’aux extrémités où son dernier roman la précipite. La police, évidemment trop pressée de sauver cette ame compromise, n’aura donc réussi qu’à la jeter plus avant dans la perdition. La police n’eût-elle même d’autre tort que d’avoir provoqué l’Apologie de Mme Aston, ce serait toujours un tort impardonnable.

Cette Apologie commence par une courte préface dont j’extrairai quelques mots, qui me paraissent le fondement de la morale spéciale de Mme Kapp aussi bien que de Mme Aston. Ce sont, pour ainsi dire, des axiomes dont nous allons retrouver le développement, dont nous pouvons suivre l’influence à la trace chez l’une comme chez l’autre : c’est le credo qui domine également leur imagination et leur conscience. — Écoutez seulement et vous sentirez comme nous sommes loin du vieux monde ! Adieu l’austère et pure devise que l’antiquité avait léguée au christianisme, et que le christianisme avait encore sanctifiée :