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titre légitime et perpétuel, au nom du double droit de la nature et de l’histoire.

La conception d’un nouveau système politique de l’Europe fondé sur l’équilibre des forces rivales, et où la France exerçât, non à son profit, mais pour le maintien de l’indépendance commune, l’ascendant ravi à l’Espagne, cette conception de Henri-le-Grand, évanouie à sa mort comme un rêve, fut exécutée par Richelieu à force de négociations et de victoires. Quand le ministre de Louis XIII mourut épuisé de veilles patriotique[1], l’ouvrage était presque à sa fin ; une habile persévérance, jointe à d’éclatans faits d’armes[2], amena, en moins de cinq ans, l’acte fondamental de la réorganisation européenne, le glorieux traité de Westphalie[3]. Cette partie de l’œuvre du grand homme d’état, sa politique extérieure, voilà ce qui, de son temps, fut le mieux compris, ce qui parut aux esprits élevés beau sans mélange[4] ; pour le reste, il y eut doute ou répugnance. Comme après le règne de Louis XI, l’opinion publique réagit contre l’action révolutionnaire du pouvoir. Les classes mêmes à qui devaient profiter le nivellement des existences nobiliaires et l’ordre imposé à tous furent moins frappées de l’avenir prépare pour elles, moins sensibles à l’excellence du but qu’indignés de la violence des moyens, et choquées, par l’excès de l’arbitraire. Cette réaction du tiers-état contre la dictature ministérielle, c’est-à-dire contre ce qu’il y avait eu de plus hardiment novateur dans l’action du pouvoir royal, fut le principe et l’aliment des guerres civiles de la fronde.


AUGUSTIN THIERRY.

  1. Le 4 décembre 1642.
  2. Les victoires de Rocroi, de Nordlingen et de Lens.
  3. Signé à Munster le 24 octobre 1648.
  4. Voiture, dans l’une de ses lettres, se place, pour juger Richelieu encore visant, au point de vue de la postérité : « Lorsque, dans deux cents ans, ceux qui viendront après nous liront en notre histoire que le cardinal de Richelieu… s’ils ont quelque goutte de sang François dans les veines et quelque amour pour la gloire de leur pays, pourront-ils lire ces choses sans s’affectionner à lui ; et, à votre avis, l’aimeront-ils ou l’estimeront-ils moins à cause que, de son temps, les rentes sur l’hôtel-de-ville se seront payées un peu plus tard, ou que l’on aura mis quelques nouveaux officiers dans la chambre des comptes ? Toutes les grandes choses coûtent beaucoup !… » (Lettre LXXIV édition de 1701, p. 179.)