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répondre aux conditions d’un pareil rôle. Louis XIII, ame sans ressort mais non sans intelligence, ne pouvait se passer d’un maître ; après en avoir accepté et quitté plusieurs, il prit et garda celui qu’il reconnut capable de mener la France au but que lui-même entrevoyait, et où il aspirait vaguement dans ses rêveries mélancoliques. On dirait qu’obsédé par la pensée des grandes choses qu’avait faites et voulues son père, il se sentît sous le poids d’immenses devoirs qu’il ne pouvait remplir que par le sacrifice de sa liberté d’homme et de roi. Souffrant parfois de ce joug, il était tenté de s’en affranchir, et aussitôt il venait le reprendre, vaincu par la conscience qu’il avait du bien public et par son admiration pour le génie dont les plans magnifiques promettaient l’ordre et la prospérité au dedans, la force et la gloire au dehors[1].

Dans ses tentatives d’innovation, Richelieu, simple ministre, dépassa de beaucoup en hardiesse le grand roi qui l’avait précédé. Il entreprit d’accélérer si fort le mouvement vers l’unité et l’égalité civiles, et de le porter si loin, que désormais il fût impossible de rétrograder. Après le règne de Philippe-le-Bel, la royauté avait reculé dans sa tâche révolutionnaire et fléchi sous une réaction de l’aristocratie féodale, après Charles V, il s’était fait de même un retour en arrière ; l’œuvre de Louis XI avait été près de s’abîmer dans les troubles du XVIe siècle, et celle de Henri IV se trouvait compromise par quinze ans de désordre et de faiblesse. Pour qu’elle ne pérît pas, il fallait trois choses : que la haute noblesse fût définitivement contrainte à l’obéissance au roi et à la loi, que le protestantisme cessât d’être un parti armé dans l’état, que la France pût choisir ses alliés librement dans son intérêt et dans celui de l’indépendance européenne. C’est à ce triple objet que le ministre-roi employa sa puissance d’esprit, son infatigable activité, des passions ardentes et une force d’ame héroïque[2]. Sa vie de tous les jours fut une lutte acharnée contre les grands, la famille royale, les cours souveraines, tout ce qu’il y avait de hautes existences et de corps constitués dans le pays. Pour tout réduire au même niveau de soumission et d’ordre ; il éleva la royauté au-dessus des liens de famille et du lien

  1. Voyez le Testament politique du cardinal de Richelieu.
  2. « Lorsque votre majesté se résolut de me donner en même temps et l’entrée de ses conseils et grande part en sa confiance pour la direction de ses affaires, je puis dire avec vérité que les huguenots partageoient l’état avec elle ; que les grands se conduisoient comme s’il n’eussent pas été ses sujets ; et les plus puissans gouverneurs des provinces comme s’ils eussent été souverains en leurs charges… Je puis encore dire que les alliances étrangères étoient méprisées ; les intérêts particuliers préférez aux publics ; en un mot la dignité de la majesté royale étoient tellement ravallée et si différente de ce qu’elle devoit être, par le défaut de ceux qui avoient lors la principale conduite de nos affaires, qu’il étoit presque impossible de la reconnoitre. » (Testament politique de Richelieu, première partie, p. 5 ; Amsterdam, 1788.)