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trois cahiers en étaient venus à son égard à un accord, plus franc, il est vrai, du côté du clergé que du côté de la noblesse[1]. Ainsi, par une circonstance bizarre, sous des votes conformes, il y avait des passions contraires, et les promesses du roi satisfaisaient du même coup des désirs généreux et des mentions égoïstes. Ces promesses, la seule bonne nouvelle que les membres des états eussent à emporter dans leurs provinces, ne furent jamais tenues, et la réponse aux cahiers par une ordonnance royale n’arriva qu’après quinze ans.

Telle fut la fin des états-généraux convoqués en 1614 et dissous en 1615. Ils font époque dans notre histoire nationale, comme fermant la série des grandes assemblées tenues sous la monarchie ancienne ; ils font époque dans l’histoire du tiers-état ; dont ils signalèrent, au commencement du XVIIe siècle, l’importance croissante, les passions, les lumières, la puissance morale et l’impuissance politique. Leur réunion n’aboutit qu’à un antagonisme stérile, et avec eux cessa d’agir et délire ce vieux système représentatif qui s’était mêlé à la monarchie, sans règles ni conditions précises, et où la bourgeoisie avait pris place non par droit, non par conquête, mais à l’appel du pouvoir royal. Entrée aux états du royaume sans lutte, sans cette fougue de désir et de travail qui l’avait conduite à l’affranchissement des communes, elle y était venue, en général avec plus de défiance que de joie, parfois hardie, souvent contrainte, toujours apportant avec elle une masse d’idées neuves, qui, de son cahier de doléances, passaient plus ou moins promptement, plus ou moins complètement, dans les ordonnances des rois. À cette initiative, dont le fruit était lent et incertain, se bornait le rôle effectif du tiers-état dans les assemblées nationales ; toute action immédiate lui était rendue impossible par la double action contraire ou divergente des ordres privilégiés. C’est ce qu’on vit plus clairement que jamais aux états de 1615, et il semble que l’ordre plébéien, frappé d’une telle expérience, ait dès-lors fait peu de cas de ses droits politiques. Cent soixante-quatorze ans s’écoulèrent sans que les états-généraux fussent une seule fois réunis par la couronne, et sans que l’oponin publique usât de ce qu’elle avait de forces pour amener cette réunion[2]. Espérant tout de ce pouvoir, qui avait tiré du peuple et

  1. Voyez le cahier du tiers-état, art. 491 et 493 ; celui du clergé, art. 158 ; et celui de la noblesse, fol. 314, verso. (Manuscrit de la Bibliothèque du roi, fonds de Brienne, numéro 282, 283 et 284).
  2. Durant les troubles de la fronde, les états-généraux furent convoqués à deux reprises ; d’abord spontanément par la cour an lutte avec la bourgeoisie ; ensuite sur les instances de la noblesse unie au clergé. Des philanthropes, joints au parti aristocratique, les réclamèrent au déclin du règne de Louis XIV. Le régent y songea pour étayer son pouvoir, et il n’en fut point question sous le règne de Louis XV. Leur souvenir, presque éteint pour la masse nationale, ne se raviva qu’à l’heure où ils se présentèrent à elle comme la clé d’une révolution.