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qu’un moyen plus direct et souvent plus efficace de rendre les observations qu’il a recueillies ou les traits prédominans d’un caractère. Ce grossissement du trait principal d’un caractère ou d’une physionomie, qui fait apparaître tous les défauts et toutes les laideurs d’une âme et d’un visage comme s’ils étaient vus, à la loupe, constitue essentiellement la caricature : Dickens l’oublie trop souvent, Halliburton ne l’oublie jamais. Dickens fait des leçons de morale, il a un but visible dans tout ce qu’il écrit, et ce défaut gâte trop souvent ses plus charmantes fantaisies : il veut prouver et démontrer quelque chose. Halliburton ne cherche à rien à prouver, et c’est ce qui rend si amusante certaines de ses pages. En effet, lorsque, dans la caricature, on aperçoit par derrière un esprit différent de l’esprit du grotesque et de l’excentrique, à l’instant le charme s’évanouit ; le portrait chargé rentre dans le cercle des choses connues, il perd sa physionomie originale et tombe dans le domaine des faits habituels. Ce n’est plus un personnage singulier et amusant que nous avons sous les yeux, mais une sorte de mécanique vivante, mise en mouvement par un vice ou une vertu, dont l’auteur tient les fils. Le grand mérite du caricaturiste, c’est de nous laisser ignorer qu’il a une méthode, c’est de nous cacher le travail d’analyse qu’ont nécessité ses créations ; ce mérite, nous le répétons, distingue essentiellement Halliburton.

On connaît maintenant les divers caractères de ce talent original. Déjà, au reste, un des plus remarquables écrits d’Halliburton, le Clockmaker a trouvé ici même un très compétent appréciateur[1]. Le dernier ouvrage du romancier anglo-américain n’est pas moins digne d’attention que ses précédens récits. Il est intitulé le Vieux Juge. C’est une suite d’esquisses de la vie des habitans, de la Nouvelle-Écosse et des colonies anglaises voisines, le Canada excepté. Ce livre, qui n’est pas inférieur au Clockmaker, est peut-être, par la nature même du sujet, moins intéressant et moins instructif. Néanmoins il offre des tableaux de mœurs singulières, et mérite d’être étudié. Le pays où se passent les principaux épisodes racontés par Halliburton a une histoire qu’il importe avant tout de bien connaître.

La Nouvelle-Écosse se nommait jadis Acadie ; elle nous a appartenu avant cette longue décadence de la France qui va de 1715 à 1789, et qui s’étend depuis Rossbach jusqu’à Québec. Le 8 novembre 1603, Henri IV établit un gentilhomme du nom de M. de Monts, et appartenant à sa maison, lieutenant-général de l’Acadie ; il lui donna en même temps plein pouvoir pour convertir et soumettre les habitans. M. de Monts partit pour une première expédition avec Champlain et M. Poutrincourt,

  1. Voyez, dans la livraison du 15 avril 1841, l’article de M. Philarète Chasles sur le roman de Halliburton : the Clockmaker.