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dans les moindres détails. Il répondit un jour à une personne qui lui demandait comment il était parvenu à cet étonnant degré de perfection : « Je n’ai rien négligé. » — « J’ai souvent admiré, dit Buonaventure d’Argonne, le soin qu’il prenait pour la perfection de son art. À l’âge où il était, je l’ai rencontré parmi les débris de l’ancienne Rome et quelquefois dans la campagne et sur les bords du Tibre, dessinant ce qu’il remarquait le plus à son goût. Je l’ai vu aussi qui ramassait des cailloux, de la mousse, des fleurs et d’autres objets semblables, qu’il voulait peindre exactement d’après nature. »

Si le fait d’être sans rivaux était le signe de la plus haute supériorité, le paysagiste dominerait, chez Poussin, le peintre d’histoire ; car ni Titien (qui est si grand paysagiste quelquefois), ni les Hollandais, ni même Claude Lorrain, ne peuvent lui être sérieusement comparés ; mais la question ne doit pas se poser ainsi. Le génie de Poussin peintre d’histoire a été traversé par des circonstances contraires que nous avons expliquées, et qui l’ont fait plus d’une fois dévier de la route véritable, qui était aussi sa pente naturelle. Le paysagiste n’a rien eu à combattre. Il avait sous les yeux une nature superbe, et il n’a rien reçu de son temps que les des grands maîtres du XVIe siècle italien. Quoi qu’il en soit, et comme paysagiste seulement, Poussin est encore, et nous craignons qu’il ne soit toujours, sans rivaux.


V

Poussin mourut à Rome le 19 novembre 1665, âgé de soixante-onze ans et cinq mois. Il avait passé hors de son pays la plus grande moitié de cette longue vie ; il vit tomber l’un après l’autre tous les amis qu’il s’était faits sur cette terre étrangère, et grandir l’isolement autour de lui. Le chevalier del Pozzo, qui l’avait aimé et patronné pendant trente-sept ans, était mort en 1657. Cette perte cruelle fit entrer Poussin dans l’irrévocable période de la vieillesse. Les infirmités qu’il avait supportées jusque-là avec une vigueur juvénile commencent à l’abattre, et ses lettres prennent une teinte de tristesse continue qu’elles n’avaient pas auparavant, mais elles témoignent aussi du calme et du courage qu’il conserva dans son isolement jusqu’à la fin. Il se plaint de ce que sa main « débile et tremblante » ne veut plus obéir à sa pensée. « Si la main vouloit obéir, écrit-il à M. de Chantelou, je pourrois, je crois, la conduire mieux que jamais ; mais je n’ai que trop l’occasion de dire ce que Thémistocle disoit en soupirant sur la fin de sa vie, que l’homme décline et s’en va lorsqu’il est prêt à bien faire. Je ne perds pas courage pour cela, car, tant que la tête se portera bien, quoique la servante soit débile, il faudra que celle-ci observe les plus excellentes