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vers soi les cimes des arbres plantés au bas de cette terrasse, comme, en regardant par la fenêtre de la salle des Ambassadeurs, on se penche vers les sommets des grands arbres dont la racine plonge dans la base de la colline escarpée qui porte le palais des rois de Grenade. Toute ressemblance s’arrête là. Je dois ajouter cependant que la chapelle de Saint George à Windsor est d’un gothique fleuri presque aussi léger et presque aussi délicat que les décorations féeriques de l’Alhambra.

L’architecture, et l’architecture du moyen-âge, est, comme je l’ai dit, le seul art dans lequel l’Angleterre excelle. Le genre de la sculpture me paraît lui avoir été refusé ; il n’a pas non plus été donné à l’Espagne, sauf le talent indigène, en ce pays, de la sculpture en bois. Mais, pour la peinture, quelle différence ! L’école espagnole est une grande école. Certainement elle a reçu l’inspiration de l’Italie, elle s’est inspirée aussi de la Flandre, mais elle n’en offre pas moins un caractère particulier et profondément original. Murillo a sa lumière, Velasquez a son coloris, Zurbaran a ses moines. Ce pays des contrastes en littérature, qui a produit les Amadis et les romans picaresques, pleins d’histoires de filous et de mendians ; qui a opposé dans le don Quichotte l’idéal exalté jusqu’à la folie et la plus prosaïque réalité ; qui, dans ses drames profanes ou sacrés, place toujours la bouffonnerie à côté du lyrisme, ce pays, en peinture, a produit les ineffables gloires de Murillo et ces mendians, ces teigneux au milieu desquels resplendit de pureté et de charité l’idéale figure de sainte Élisabeth. Ne cherchez point de telles merveilles chez les peintres anglais. Hogarth est un peintre ingénieux, un satiriste comme Swift, un moraliste et un prosateur comme Addison. Reynolds a de la science, du coloris, de la pensée ; il peut être mâle, il sait être gracieux : il a bien écrit sur l’art, et sa peinture est bien écrite. Flaxman possède le secret d’une simplicité pleine d’effet, qui n’est ni sans grandeur ni sans manière ; mais que tout cela est loin de Murillo et de Velasquez !

Aujourd’hui, les arts sont le côté faible des Anglais. Leur langue met la mélodie en fuite, et ils nous rendent le service d’avoir une oreille encore plus barbare que la notre. En architecture, ils vont du grec au gothique, copiant tantôt l’antiquité, tantôt le moyen-âge (celui-ci plus heureusement), et n’inventant rien ; mais qui invente en architecture ? Leur peinture a quelque mérite de couleur. Cette couleur est bien parfois fantastique et impossible, mais il faut reconnaître aussi qu’en passant sur les ponts de Londres, quand le soleil perce, à demi une brume jaunâtre et la fumée qui flotte au-dessus de l’immense chaudron, pour parler comme lord Byron, on voit certains effets, certains caprices de lumière qui ne ressemblent à rien, si ce n’est à des effets bizarres qu’on a rencontrés chez les peintres anglais. On croit voir dans le ciel des fragmens de la palette de Gainsborough.