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telles qu’il arrivera infailliblement d’en faire à quiconque voudra marquer par l’impuissant abus des métaphores l’ineffable union de Dieu et du monde, phrases innocentes et compromettantes tout ensemble, où respire, pour ainsi parler, l’ivresse de la présence universelle du Dieu infini, phrases telles qu’on en cite dans les écrivains du génie le plus sûr. Des phrases surprises à la verve et à l’entraînement de l’écrivain dominé par l’idée de marquer l’action profonde de Dieu sur le monde, voilà donc le commode, l’éternel point de mire des attaques ! M. Cousin a eu beau protester, réfuter Xénophane, désavouer, flétrir même le panthéisme dans son Introduction aux Pensées de Pascal et dans dix passages de ses écrits ; on n’a pas moins continué à crier au panthéisme. Pour nous, ce qui nous rassure, c’est que quelque chose proteste avec bien plus d’énergie encore que M. Cousin contre cette accusation : c’est toute sa philosophie. Le panthéisme y serait certainement le contre-sens le plus monstrueux, le plus absurde non-sens. Comment la psychologie spiritualiste irait-elle se perdre dans le panthéisme, quand sa principale raison d’être est précisément, avec le dessein formé d’éviter le scepticisme, de se garder aussi, par l’observation des faits de conscience et le profond sentiment du moi, de cet autre abîme où l’Allemagne, avec l’entraînement de la logique, avec une passion de l’abstraction que rien n’arrête, se précipite tête baissée ? Ce qui distingue entre toutes les autres philosophies, même spiritualistes, la doctrine de M. Cousin, c’est un vif sentiment de la personnalité humaine. Partout il proteste contre cette étrange confusion de la volonté libre et de la passion, « où se rencontrent les écoles les plus opposées, Spinosa, Malebranche et Condillac, la philosophie du XVIIe siècle et celle du XVIIIe, l’une, par une piété extrême et mal entendue, ôtant à l’homme son activité propre et la concentrant en Dieu, l’autre la transportant à la nature. » Partout il marque soigneusement la place de cette volonté entre la raison qui vient de Dieu et la sensation qui vient du monde. L’idée même de Dieu n’est pour lui que le fruit d’une induction légitime, par laquelle l’homme, partant de lui-même, s’élève jusqu’à Dieu. « L’homme ne peut rien comprendre de. Dieu, dont il n’ait au moins une ombre en lui-même ; ce qu’il sent d’essentiel en lui, il le transporte ou plutôt il le rend à celui qui le lui a donné, et il ne peut sentir ni sa liberté, ni son intelligence, ni son amour, avec toutes leurs imperfections et leurs limites, sans avoir une certitude invincible de la liberté, de l’intelligence et de l’amour de Dieu, sous la raison de l’infinité. » Il serait par trop étrange d’avoir défendu contre toute atteinte, avec un tel enthousiasme et une telle résolution pendant toute sa vie, la personnalité distincte de Dieu et celle du moi humain, pour aller en faire humblement hommage aux philosophes de l’Allemagne. Singulier panthéisme d’ailleurs, on en