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et le protégeaient au besoin contre les insultes des partisans de Clodius ; mais son ame, excitée par les émotions vives de la politique, dévorée par cette saveur âcre qui irrite comme un poison ceux qui sont bannis des affaires, ne lui permettait plus de reprendre intérêt à ce qui avait fait autrefois et sa joie et sa gloire. — « Il faut que je vous avoue, mon cher frère, écrit-il, ce que je voudrais me cacher à moi-même : c’est un supplice cruel que de penser qu’il n’y a plus pour moi ni république ni magistrature, que je dois consumer dans les vains travaux du barreau ou employer à des études purement littéraires le temps de ma vie où il m’appartenait de jouir d’une autorité puissante au sein du sénat ! C’est une torture que de me voir réduit à l’inaction en face de mes ennemis, et quelquefois même contraint de les défendre, de n’avoir plus enfin la liberté ni de ma pensée, ni de ma parole, ni de ma haine ! »

Au fond, il était tout entier aux affaires publiques ; il cherchait à se ménager entre Pompée et César. La chose était plus facile en ce moment, car ces deux ambitions avaient fait trêve, et Pompée se rendait garant auprès de Cicéron, de la modération et du désintéressement de son rival. Cicéron profitait avidement de l’autorisation que Pompée lui donnait de se rapprocher de César et plus sans doute que le premier ne l’eût voulu. Il voyait souvent César, il concertait ses discours avec lui et lui recommandait ses amis ; il s’occupait même d’un poème sur l’expédition de César dans la Grande-Bretagne. Ce n’était pas la poésie, mais la politique, qui était sa muse inspiratrice. Cette conduite ne manquait pas de censeurs. « On m’accuse de palinodie, dit-il, pour les éloges que je donne à César. Les gens de bien, mon ami, ne sont plus ce qu’ils ont été un jour. La décadence se voit non pas seulement sur les visages, qu’il est pourtant si facile de faire mentir, mais dans le langage et dans tous les votes du sénat ; c’est donc une nécessité pour les citoyens sages, au nombre desquels je veux que l’on me compte, de changer à leur tour de marche et de système. Platon, qui fera toujours autorité pour moi, le prescrit positivement. Ajoutez que les procédés vraiment divins de César pour moi et pour mon frère m’en font un devoir. Comment d’ailleurs, après un bonheur comme le sien et tant de victoires, ne pas lui rendre hommage ? »

César venait en effet, après plusieurs pourparlers, de lui offrir le gouvernement de la Cilicie. Tout en regrettant de s’éloigner du grand jour de Rome et du théâtre de la politique, Cicéron espérait trouver à ces frontières reculées de l’empire romain quelque occasion de guerre qui lui donnât ce qui avait toujours manqué à son ascendant, l’autorité et la gloire militaire. Rien de plus curieux que la lettre qu’il écrivait quand l’affaire n’était pas encore décidée ; on la dirait de quelque personnage