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la fortune, vive le roi ou vive la ligue, je parle des ames les plus droites. Le point de vue a changé pour elles : voir de plus près, c’est voir autrement. Voilà comment varient les gens de bien ; le public cependant n’entre pas dans ces explications, et juge sur les paroles du passé : inattentif et soupçonneux, pour lui, les convertis sont des renégats. Avouons-le, ces reviremens d’opinion sont la nécessité, mais aussi le scandale des gouvernemens populaires. À ce régime, l’autorité se déconsidère, vite, et les efforts les plus sincères ne suffisent plus pour réparer le mal et remettre l’ordre dans les consciences. Comme un général, après avoir ruiné et démantelé une place par tous les moyens que lui fournit l’art de la guerre, se hâte, une fois qu’il en est maître, de fermer les brèches, de relever les remparts et de se fortifier à son tour contre les attaques qu’il prévoit, ainsi font les hommes arrivés au pouvoir par l’opposition ; mais la sécurité est moins grande pour eux derrière ces murailles ébranlées, qu’elle ne l’était pour les premiers assiégés : on sait sur quel point doit s’ouvrir la tranchée ; eux-mêmes ont appris à ceux qui les attaquent maintenant quelle muraille il faut battre en brèche, sur quel point il faut donner l’assaut. Toute ville assiégée finit par être prise : celle-ci en dix ans, cette autre en dix jours ; ce n’est qu’une question de temps. On n’a pas vu en France, hélas ! depuis 1789, une minorité qui, à un jour donné, ne soit devenue majorité, une opposition qui n’ait fini par s’emparer un moment du pouvoir. Chaque opinion a toujours ainsi une chance d’arriver en renversant le gouvernement : perspective peu rassurante assurément et qui donne à la société à peu près le degré de sécurité que des assiégés peuvent goûter à la veille d’un assaut. — Mais enfin attaquer le pouvoir, le saisir, le défendre à son tour, c’est l’action ; c’est la vie, c’est l’exercice sur le grand théâtre du monde des grandes facultés que Dieu accorde à quelques esprits d’élite. L’histoire s’en entretient deux mille ans après, et hors des idées chrétiennes il n’est rien de plus beau que cette immortalité humaine. « Que pensera de moi l’histoire dans quelques siècles ? s’écrie Cicéron ; voilà ce que je me demande chaque jour et sur quoi je règle ma conduite. »

Quel triste spectacle, au contraire, suit bientôt ce bruit et cette ardeur ! On se fatigue de tant de luttes acharnées, on arrive à une lassitude universelle, on sent de soi-même et des autres un découragement sans remède, on ne croit plus à cette pierre philosophale de la politique, l’accord de la liberté et de l’autorité, qu’on a vainement poursuivie. Le désir du repos, arrivant avec l’âge ou la disgrace, s’empare de l’ame et vous livre sans défense à la tyrannie ; celle-ci vous promet au moins une fin douce et paisible. Alors, au lieu de combattre les factions, on cherche à se ménager avec elles ; on avait démasqué et puni Catilina, on flatte César, on espère dans Octave. — Qu’espère-t-on ? –