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travaillé à la réduire ; lorsqu’elle eût pu devenir un grand pouvoir dans l’état, elle avait consenti à n’être que l’épée de la royauté. Au XVe siècle, elle s’était laissé décapiter par Louis XI ; au XVIe elle avait fléchi sous le génie de Henri IV, après lui avoir frayé les voies du trône ; au XVIIe, elle avait perdu par deux fois, durant la minorité de Louis XIII et celle de Louis XIV, l’occasion d’intervenir activement dans les affaires de son pays. Lorsqu’elle eût pu exiger des garanties pour la nation et pour elle-même, elle s’était bornée à stipuler des gouvernemens et des pensions au profit de ses chefs ; elle s’était enfin montrée, depuis trois siècles plus dénuée d’esprit politique qu’il n’est possible de le croire et de l’exprimer.

Une éducation faite dans les camps et à Versailles, dans la dissipation de la guerre et des plaisirs, l’avait mal préparée au rôle difficile que les circonstances allaient lui imposer. On pouvait prévoir que sa confiance en elle-même l’empêcherait souvent de voir les périls, et qu’elle aimerait mieux les affronter par son courage que les prévenir par sa prudence ; il fallait enfin peu de perspicacité pour deviner que ses formes blessantes lui feraient perdre presque toujours le profit de ses meilleures intentions. Aussi vit-on bientôt la noblesse, laissée sans direction par la cour, livrer de dangereux combats pour des questions secondaires ou de déplorables futilités, lorsqu’elle abandonnait sans hésitation et sans arrière-pensée les prérogatives les plus fructueuses et les plus utiles. Le grand-maître des cérémonies, à cheval sur l’étiquette comme un procureur sur la procédure, ne contribua pas peu à faire évanouir, par ses pointilleries, les patriotiques dispositions que chacun apportait à l’ouverture des états-géneraux. De plus, si la noblesse ne marchandait pas son sang à la France, elle s’était accoutumée à confondre la patrie avec le monarque, sa personnification vivante, et avait consenti à descendre au rang d’une grande compagnie de gardes du corps. Aussi était-il manifeste que l’esprit de conciliation et de sacrifice si loyalement apporté par les gentilshommes dans la discussion des intérêts généraux ne résisterait pas à la plus légère atteinte portée à la dignité de la couronne. La noblesse ne s’inquiétait point de l’opinion publique tant qu’elle était en règle avec la royaume et avec elle-même ; ce fut pour cela qu’après le départ du roi pour Varennes elle abandonna le sol au moment où il tremblait sous la violence de la tempête, et que l’on vit expirer dans les tristes conciliabules de Coblentz le dernier souffle de l’esprit héroïque qui avait fait les croisades.

Les dignitaires de l’ordre du clergé avaient dans une certaine mesure subi l’influence des mêmes idées. Poursuivie en France, depuis le règne des Valois, par les suspicions parlementaires ; conduite par l’apparition du protestantisme, a réclamer l’appui du bras séculier,