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libérales, lorsque celles-ci dispensaient presque exclusivement la considération et la fortune, c’était une impossibilité parfaitement comprise du prince égoïste qui régnait sur la société dont il hâtait la corruption par ses exemples, et dont il prédisait la catastrophe avec une sagacité peu commune. Durant la longue vie de Louis XV, l’atmosphère fut comme imprégnée de fluide révolutionnaire. Il faisait explosion dans les salons, où l’esprit fort avait fait alliance avec la galanterie, dans les académies, devenues les foyers de la vaste conspiration ourdie contre toutes les croyances qui gouvernent les hommes, dans les parlemens surtout, demeurés les seuls organes de la pensée publique. La magistrature fut le centre et l’instrument le plus actif de l’opposition de la bourgeoisie contre un gouvernement que celle-ci aspirait à partager beaucoup plus qu’à détruire. Aussi le nom des parlemens remplit-il la première période de la crise qui s’ouvrit à la mort de Louis XIV pour se prolonger jusqu’à la convocation de la première assemblée des notables. Ces grandes compagnies jouissaient alors de toute la faveur publique, parce qu’elles se montraient sympathiques à toutes les idées qui germaient dans la nation ; on flattait tous leurs préjugés, on allait au-devant de leurs prétentions les moins admissibles. Pour les exciter à prendre en main la cause du pays, on paraissait les considérer comme ses représentans naturels, et l’on s’accordait pour fermer les yeux sur le titre plus qu’équivoque en vertu duquel des agens choisis par la couronne pour rendre la justice en son nom prétendaient exercer un contrôle sur le pouvoir politique en changeant le sens naturel de la formalité de l’enregistrement.

Une telle prétention ne comportait pas l’examen ; mais ces corps avaient alors une si grande autorité dans l’opinion, que leur concours était réclamé par les intérêts les plus élevés, et leurs décisions partout acceptées, comme souveraines. Lorsque s’engagea la lutte relative au testament de Louis XIV, la couronne fut mise en dépôt au greffe, et l’on vit les princes du sang invoquer avec humilité les secours du parlement, qualifié par eux de conseil suprême de la nation, afin d’obtenir un point d’appui contre les légitimés. Le régent, menacé par ceux-ci et par l’Espagne, avait incliné le pouvoir royal sous une juridiction qui disposait d’une force morale dont les difficultés politiques faisaient pour la première fois comprendre toute l’importance. Ces éclatans succès avaient mis le parlement de Paris en goût de s’assurer une puissance à l’extension de laquelle les rivalités de tous les grands corps de l’état semblaient concourir à l’envi. Il est à remarquer qu’à cette époque personne ne prononçait encore le mot d’états-généraux. On le trouve jeté comme en passant dans les mémoires de Fénelon qui contiennent l’admirable tableau des misères publiques à la fin du grand règne ; il apparaît comme une menace dans un manifeste des coalisés voulant