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« Protection. » Après cette exhibition, ils se rendirent en foule au lieu où les protectionistes étaient assemblés et les expulsèrent. Les choses ne se sont pas toujours passées si pacifiquement. Plus d’une fois les paysans ont mis les libre-échangistes à la porte, et, dans les villes manufacturières, on a vu les ouvriers disperser à coup de pierres des réunions d’agriculteurs, assaillir dans les rues les fermiers isolés, couvrir de boue les magistrats qui se rendaient aux meetings. Lord Talbot a été grièvement blessé d’un coup de pierre au moment où il haranguait des fermiers ; le maire de Reading, renversé dans la boue comme il revenait de présider une réunion, assommé de coups de bâton, fut arraché presque mourant des mains de quelques furieux. M. Cobden, dans la tournée qu’il a faite à travers les comtés agricoles de l’Angleterre, a pu se convaincre par lui-même de l’extension qu’a prise l’agitation protectioniste, de la détresse qui pèse sur les fermiers, et de l’état d’exaspération où ils sont arrivés ; il a pu voir combien il serait facile de mettre aux prises la population manufacturière et la population agricole, et on a remarqué que, dans les dernières réunions où il a pris la parole, son langage était moins acerbe et moins irritant.

Le ministère anglais a suivi avec anxiété les progrès de cette double agitation d’où pouvait sortir à chaque instant une collision. Les deux mouvemens ont pris trop d’importance pour qu’il lui fût possible de demeurer neutre entre eux : il lui fallait absolument s’appuyer sur l’un des deux pour tenir tête à l’autre. Son choix ne pouvait être douteux. La majeure partie des whigs ne désirait pas l’abolition complète des corn-laws, mais tous l’ont acceptée des mains de sir Robert Peel, tous l’ont votée : le retour à la protection eût été un pas en arrière. Les whigs sont une fraction considérable de la chambre des communes, mais ils sont incapables de former jamais par eux-mêmes une majorité : il leur faut l’appoint des radicaux et l’appoint des amis de sir Robert Peel ; le retour à la protection eût été une rupture irréconciliable avec ces deux fractions, et aurait eu pour résultat de mettre les whigs à la merci des tories, qui, après avoir aidé leurs adversaires à rétablir un droit sur les céréales, entreprendraient probablement de gouverner eux-mêmes. Le ministère anglais, sous peine d’abdiquer, devait donc se déclarer pour le maintien du libre échange. Il lui fallait à la fois resserrer l’union des whigs avec les radicaux, et trouver le moyen de faire face aux assauts qui se préparent. Il va avoir contre lui, dès le début de la session, une minorité formidable et compacte, qui ne lui laissera point de relâche. Lord John Russell ne se dissimule pas toute l’influence et tous les moyens d’action dont dispose la grande propriété en Angleterre ; il a vu le parti tory, complètement dissous après la réforme électorale de 1831, se reformer en moins de cinq ans et se changer peu à peu en une majorité considérable ; il sait qu’avec des forces aussi étroitement balancées qu’elles le sont aujourd’hui,