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de faim. Pour réduire encore ces misérables salaires sans livrer à la famine ceux qui les reçoivent, il fallait produire une baisse dans le prix des denrées alimentaires, dût-on pour cela sacrifier l’agriculture anglaise. Voilà pourquoi les fabricans anglais, placés entre la ruine et l’abolition des lois sur les céréales, ont soutenu si énergiquement M. Cobden et la ligue, et ont fini par remporter la victoire. Il est douteux que ce triomphe leur assure un avenir sans nuages, car voici que déjà la chambre de commerce de Manchester pousse un nouveau cri d’alarme, dénonce à tous les sectateurs d’Adam Smith les tentatives faites par les planteurs américains pour acclimater chez eux la fabrication des tissus, et demande au ministère anglais de favoriser, par représailles, la culture du coton dans l’Inde.

Il n’est donc pas besoin d’engager contre sir Robert Peel une discussion théorique ; ce fait incontestable, que chacun des progrès de l’industrie américaine a nécessité en Angleterre un remaniement de tarif paraît suffire à prouver que la doctrine des free-traders est fille de la nécessité et non pas de la science. On est aussi fondé à conclure que cette doctrine ne repose pas sur des principes d’une vérité éternelle, puisqu’elle ne donne pas partout les mêmes résultats, et puisque des faits avérés viennent la démentir. Jusqu’à l’établissement du gouvernement fédéral, et, on peut même dire, jusqu’au traité de Gand, qui suivit la guerre de 1812, les États-Unis ont été une nation exclusivement agricole ; depuis 1812, ils sont une nation industrielle et agricole, et leur prospérité, leur richesse, se sont accrues avec une rapidité jusque-là sans exemple. Nous voyons bien en quoi leur système de protection a été funeste aux Anglais, nous ne voyons pas en quoi il a nui aux Américains. Si une industrie florissante n’était née aux États-Unis à la faveur de la protection, le manufacturier de Glasgow ou de Manchester ne serait sans doute pas resté au même point qu’en 1812, mais il n’aurait peut-être pas été contraint de demander la suppression des droits que l’Angleterre percevait sur les cotons américains, il n’aurait sans doute pas réclamé et obtenu la suppression des droits sur les céréales, et sir Robert Peel n’aurait pas eu besoin de jeter sur une impérieuse nécessité le voile d’une théorie plus brillante que solide.

Voilà cependant tout le discours de sir Robert Peel, lorsqu’on dépouille sa pensée du vêtement splendide qu’il a su lui donner. Quant à l’agriculture, il n’en est pas question dans ce discours, qui roule pourtant « sur l’état de la nation anglaise. » On ne peut prendre, en effet, comme une discussion sérieuse les quelques phrases ironiques que sir Robert Peel a adressées aux agriculteurs : il ne nie pas la réalité ni l’étendue de leurs souffrances ; il se borne à rappeler qu’au temps de la protection, dans les années 1833 et 1834, le prix des grains est tombé à 45 et 46 shillings le quarter, et qu’en 1836 le prix moyen a même été de 39 shillings. À ce moment, les plaintes de l’agriculture