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ses interlocuteurs, qu’en rapportant en entier les paroles qu’il adressa à Zurich à M. Hottinger. M. Hottinger était alors vice-secrétaire d’état de Zurich, et chargé en cette qualité des relations avec le corps diplomatique.

« On nous a prêté mille prétentions et mille préventions. Les uns ont publié que nous nous entendions avec l’Autriche pour opprimer la liberté en Suisse ; les autres, tout au contraire, que nous sommes ici engagés avec elle dans une lutte d’influence, qui assurera toujours le secours de l’une au parti que l’autre menacera : ce qui laisse à chacun des deux la permission de se moquer de la France et de l’Autriche.

« Quand j’ai remis la protestation sur Cracovie à M. Zehnder, je lui ai dit : « Cette pièce vous prouve que, quand l’Autriche attaque l’indépendance d’un état secondaire, nous ne nous bornons pas seulement à nous séparer d’elle. » Il est vrai ensuite que des personnes m’ont conseillé de faire telle ou telle chose, me disant que j’acquerrais par là plus d’influence que la légation d’Autriche ; mais que voulez-vous que je fasse ici de cette influence ? Le jour où l’on dira : « L’ambassade de France a l’influence en Suisse, » on lui demandera compte de la conduite de MM. Ochsenbein, Fazy, Druey, et tant d’autres : c’est un compte que je ne me soucie pas d’avoir à rendre. L’Autriche a besoin, comme nous, de l’apaisement de ce pays ; si mon collègue y contribue plus efficacement que moi, je vous en féliciterai et l’en remercierai, et, quant à la part d’influence qu’il pourrait devenir utile que je me fisse un jour, j’ai trop le sentiment de ce qu’est la France pour m’en inquiéter à l’avance.

« On a dit ensuite que nous recherchions en Suisse le triomphe de certains hommes, de certain parti, de certaines formes de gouvernement.

« Nous ne combattons ni les institutions ni les hommes : nous déplorons le désordre là où il se glisse ; voilà tout.

« Vous êtes des républicains ; vous aviez des gouvernemens aristocratiques, vous les avez renversés pour en prendre de démocratiques. On peut faire de l’ordre avec une constitution démocratique comme avec une constitution aristocratique ; seulement, c’est plus difficile, peut-être aussi est-ce plus sûr.

« Nous n’avons blâmé personne comme démocrate, mais plusieurs comme radicaux, c’est-à-dire comme destructeurs, attaquant à la fois et systématiquement les principes sur lesquels repose l’ordre social.

« Est-ce à dire pour cela que nous devions entreprendre de renverser les radicaux, aujourd’hui maîtres de trois quarts des gouvernemens de la Suisse, ou que nous les croyions incapables de devenir des hommes d’ordre et de faire de l’ordre ? C’est précisément dans l’esprit contraire que le conseil que je vous donne est conçu : « Que chacun reste chez soi. »

Il semble difficile de comprendre comment un pareil langage a jamais pu exciter la sérieuse indignation des patriotes les plus jaloux de l’indépendance de leur pays. Ce sont cependant des avis de cette nature, donnés avec tant de ménagement, qui ont été unanimement représentés par les journaux radicaux de la Suisse comme une insolente ingérence de la diplomatie française dans les affaires intérieures des cantons suisses. Quoi qu’il en soit, le résultat des élections de Saint-Gall,