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fatigues qu’engendrent ses propres excès. Nous voilà donc maintenant obligés de chercher d’autres moyens de gouvernement que ceux que nous avions employés jusqu’à ce jour. Les trouverons-nous ? Nous ne savons, car par deux fois, depuis cinquante ans, on a rencontré des réalités, on s’est appuyé sur elles, et elles ont succombé ni plus ni moins que nos abstractions et nos toiles d’araignée parlementaires.

La plus grande de ces réalités est, à coup sûr, Napoléon ; chez lui, rien d’abstrait, tout est concret, précis, formé, dirions-nous presque. Dans les tristes jours que nous avons traversés, souvent, en pensant au passé, nous avons trouvé une consolation infinie en jetant nos regards sur l’histoire de Napoléon. Depuis la révolution de février, peu s’en est fallu que nous ne devinssions coreligionnaire de Mickiewicz et disciple de Towianski. Oui, Napoléon est un révélateur, on sentira de plus en plus cette grande vérité. Il a révélé les notions fondamentales des sociétés, notions que la France avait oubliées ; il a révélé l’autorité, révélé l’action salutaire de la discipline et de la force militaire, qui n’avait jamais été bien connue en France, et qui, malgré tout, a été pour elle un dernier moyen de salut ; il a révélé toutes les choses absolues, toutes les nécessités morales, toutes les fatalités inhérentes à la société, l’inégalité, l’obéissance, la règle, le devoir. Napoléon, après le Contrat social, après la Déclaration des Droits de l’Homme, peut, à bon droit, être nommé un révélateur ; en tout cas, c’est un prodige, un véritable miracle que son apparition dans un temps où la doctrine d’égalité courait le monde ; il consacra par son exemple l’inégalité sociale, partout il a remplacé par le fait naturel, original, spontané, le fait matériel, mécanique, artificiel, créé par le Contrat social. Quelque temps avant lui, on posait les bases de la société sur des constitutions, des chartes, des contrats, des conventions tacites ou expresses, des délégations ; aussitôt qu’il parut, il montra combien il était peu vrai que le gouvernement fût fondé sur des délégations et des mandats. Dans un temps où régnait le scepticisme absolu, où circulaient les plaisanteries les plus philosophiques sur le droit divin, il montra combien ce droit divin était en lui, l’homme nécessaire, fatalement imposé, et qui semblait tenir son pouvoir de Dieu lui-même. Dans un temps où les railleries contre les rois avaient allumé l’incendie le plus immense qui ait été allumé jusqu’alors, il montra combien la royauté est un fait naturel, inhérent à des natures comme la sienne ; il montra qu’il était ne roi. Dans un temps de persiflage à l’endroit de tout ce qui était noble et digne de respect, il sut faire jaillir de toutes ces ames qui semblaient desséchées les sources profondément cachées de l’enthousiasme, du respect et de l’admiration. Le peu qui nous reste de toutes ces choses, c’est à lui que nous le devons. Il a offert au monde civilisé, qui survivait aux ruines de toute une civilisation, le spectacle