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déjà qu’il n’est plus aucun espoir de sauvegarder l’unité hongroise. Il en faut donc revenir à cette pensée dont les Polonais modérés se sont faits les organes et les représentans, à ce principe de l’égalité des nationalités, qui, depuis vingt ans, est la grande préoccupation de l’Europe orientale. Si le parti dont Georgey était le chef et le parti purement autrichien, germanique, restent hostiles à l’alliance magyaro-polonaise, le parti populaire de Kossuth et le parti de l’ancienne opposition aristocratique se sont, depuis la catastrophe, rattachés plus étroitement à l’idée essentielle de cette alliance. Ils reconnaissent aujourd’hui combien il y avait de sagesse, dans les conseils diplomatiques de l’émigration. Ils avouent que le droit et le bon sens leur commandaient de se prêter au généreux essor des Slaves et des Valaques de la Hongrie.

Plaise à Dieu que ce sentiment devienne celui de tous les Magyars, et qu’il anime désormais leur politique ! C’est le but que les slavistes poursuivaient à travers cette guerre ; s’il est atteint, ils ne pousseront pas plus loin leur hostilité, et, loin de se souvenir de leurs griefs contre le magyarisme, ils n’useront que de paroles amicales pour déplorer les calamités dont la race magyare porte aujourd’hui le poids.


IV

Nous ne nous étendrons pas sur la période de sanglante expiation qu’a traversée la Hongrie depuis la capitulation de Georgey. Le point essentiel que nous voudrions mettre ici en lumière, c’est la situation nouvelle que la guerre de Hongrie a faite d’une part aux Slaves, de l’autre à l’émigration polonaise. L’Autriche condamnée à s’appuyer sur le czar, le czar enorgueilli au point d’adresser par la Turquie une sorte de défi à l’Europe, telle est la conséquence européenne de l’insurrection magyaro-polonaise.

Pour la Pologne, la leçon a été rude. Les Polonais s’aperçoivent qu’en portant secours aux Magyars, ils n’ont réussi qu’à accroître encore la puissance de leur irréconciliable ennemi ! Nation malheureuse, en vérité, à qui il ne sert de rien ni de souffrir, ni de s’agiter, ni de se battre ! Comme il arrive à ces personnages de la tragédie antique aux prises avec le destin, tout ce qu’elle entreprend pour y échapper tourne contre elle-même. C’est maintenant que reviennent naturellement en mémoire les paroles prophétiques du prédicateur Skarga ; maintenant sont accomplies les calamités prédites, il y a tantôt deux siècles, par ce sublime visionnaire. « Qui me donnera, disait-il dans son langage émouvant, qui me donnera assez de larmes pour pleurer jour et nuit les malheurs des enfans de ma patrie ! — Je te vois dans la captivité,