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En présence de l’intervention russe, cette incertitude qui régnait dans les desseins des Magyars, ce désaccord qui avait éclaté entre Dembinski et Georgey dès le jour de la bataille de Kapolna, devaient apparaître plus nettement encore. Les généraux polonais conseillaient aux Magyars de prévenir à tout prix la marche des Russes, et les Magyars, par une illusion inexplicable, s’imaginaient que les Russes ne pouvaient avoir l’intention d’entrer en Hongrie, si on ne les provoquait directement. Dans le cas même où ce mouvement s’opérerait, l’on comptait avec une naïveté singulière sur l’efficacité d’une protestation de l’Europe libérale en faveur du principe de non intervention. Cette étrange méprise poussa les Magyars à tenter auprès de l’Angleterre et de la France de puériles démarches diplomatiques, et l’Autriche, servie par la fausse politique de ses adversaires, put regagner sans peine tout le terrain qu’elle avait un moment perdu.

La situation de l’Autriche, en mai 1849, était fort mal jugée à Pesth. Les Magyars avaient repoussé l’armée autrichienne de la Theiss à la frontière de l’archiduché : c’était là un résultat important ; mais les vainqueurs, au lieu de voir dans leurs premiers succès un encouragement à de nouveaux efforts, s’abandonnèrent aux plus folles rêveries. M. Kossuth annonça sérieusement aux Allemands de Vienne qu’ils étaient libres. « Vieille capitale de l’Occident, disait-il, pour toi les jours de malheur sont passés, le printemps de la liberté approche ; tresse des couronnes de fleurs pour tes libérateurs magyars et polonais : ta réunion à l’Allemagne va s’accomplir selon tes voeux. Vive l’Allemagne ! vive la Hongrie ! vive la Pologne ! »

L’Autriche cependant n’était pas si près qu’on le pensait d’être émancipée par les troupes de M. Kossuth. Les mêmes événemens qui avaient exalté outre mesure l’orgueil des Magyars avaient ramené le gouvernement autrichien à une politique prudente et conciliatrice qui devait finir par triompher. On avait compris qu’il y avait danger à mécontenter plus long-temps les populations slaves de l’empire, dont les plaintes devenaient chaque jour plus vives. Les députés tchèques avaient exposé leurs griefs en termes énergiques et précis. Ils rappelaient à l’Autriche les promesses, les déclarations libérales du ministère Stadion. Ils se plaignaient que ces promesses n’eussent pas été tenues, qu’on eût lacéré leur programme avec mépris, et menaçaient de rester spectateurs passifs de la lutte, si l’Autriche persistait dans une politique contraire à leurs intérêts. Le langage des Croates était plus vif encore que celui des Tchèques. Une feuille patriotique[1], parlant au nom des colonies militaires que le gouvernement avait replacées

  1. La Gazette des Slaves méridionaux (Susdslavische-Zeitung) rédigée en allemand à l’adresse de l’Europe occidentale.