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à un patriote revendiquant l’égalité entre le sabot des chevaux et ses bottes. Elle montait à cheval avec une adresse pleine de charme ; sa monture semblait toujours dans le secret de ses pensées. Certainement il y avait affinité mystérieuse, secret accord entre sa nature et cette nature chevaline, capricieuse, ardente, inquiète, en rapport avec les esprits invisibles de l’air, passant des allures confiantes aux tressaillemens ombrageux, de la soumission gracieuse à tous les écarts désordonnés de la révolte.

On allait de Saint-Nazaire à Montceny par un de ces chemins à travers bois, qui sont routes du pays des fées. Bientôt, en galopant sur l’herbe verte, elle eut oublié les images de mort et de douleur qu’elle venait d’avoir sous les yeux. À travers la chevelure des bois, le soleil buvait ses larmes, et les bonds rapides de miss Anna envoyaient au vent ses tristesses, comme le mouvement emporté d’une valse effeuille sur le sein d’une danseuse toutes les fleurs d’un bouquet. Enfin, suivie de tout son cortége, elle arriva au château de Montceny. Cette noble et pensive demeure, bâtie au temps où les pierres se remuaient avec le signe de la croix, comme dit la ballade, présentait un aspect singulier. Les portes en étaient fermées avec soin. Il fallut baisser un pont-levis pour faire entrer la cavalcade inoffensive qui venait rendre à ces vieux murs une joyeuse visite. Quelques valets armés se promenaient dans la cour.

— Ah çà ! mon cher comte, dit le marquis de Penonceaux au beau Raoul de Montceny, qui arrivait au-devant de ses hôtes, vous disposeriez-vous par hasard à soutenir un siège ? Sommes-nous encore au quatorzième siècle, et avez-vous quelque démêlé avec un seigneur voisin ?

— Non, mon cher Penonceaux, répondit Raoul de l’air le plus naturel du monde. Nous sommes fort loin de ces temps héroïques pour votre malheur et le mien ; mais nous sommes en 1832 et en Vendée. Je suis venu ici, où j’espérais assister encore à quelque action. J’ai trouvé les nôtres dispersés, Madame réduite à se cacher, et les gendarmes de Louis-Philippe maîtres de la campagne. C’est contre les défenseurs du trône de juillet que j’ai fait ces préparatifs dont vous êtes étonné. Hier, en revenant de Saint-Nazaire, un de mes gens m’a dit que les bleus songeaient à me faire une visite armée. Je ne serais pas surpris que mon nom me valût en effet cet honneur, auquel j’ai voulu me mettre en mesure de répondre. Ainsi, madame la duchesse, fit-il en se tournant avec une inclination gracieuse vers Élisabeth, vous allez vous trouver peut-être parmi des assiégés.

Lanier ne put point s’empêcher de prendre à l’endroit de ce chevaleresque péril un certain air d’incrédulité bourgeoise, et, se penchant à l’oreille de Mme de Mauvrilliers : — Je désire, dit-il, que vous ne vous