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chemins avaient été transformés en lits de torrens. L’inondation emportait les chaumes flétris, les bois épars, les arbustes déracinés, et roulait ses vagues jaunâtres avec mille rumeurs, tandis que la chênaie, ébranlée par le vent, gémissait sourdement dans ses profondeurs. Le retour à Mamers était évidemment impossible ; il fallait accepter l’hospitalité du taupier.

Nous aperçûmes bientôt sa closerie, placée à mi-côte. Sa maison, comme l’eût dit Virgile, pendait au flanc du coteau. Elle était précédée d’une petite aire à battre ; derrière, s’étendait un jardin de forme irrégulière qu’enfermait une haie de cytise et de sureau. Le tout nous apparaissait au bout de l’avenue de chênes que nous suivions, encadré dans les derniers rameaux, comme la vignette de quelque églogue illustrée par le burin anglais.

La brièveté de l’accat avait été proportionnée à sa violence. Il semblait déjà toucher à sa fin, et quelques lueurs du soleil couchant rayaient l’horizon. Un de ces jets lumineux tomba tout à coup sur la closerie, qui, encore baignée des eaux de l’orage, scintilla sous ce rayon inattendu. Je ralentis le pas, malgré moi, pour contempler le charmant aspect qu’offrait la maisonnette rustique à moitié sortie du déluge ; mais mon regard, en se promenant du toit rongé de mousse à la vieille touffe d’aubépine qui ombrageait la porte, s’arrêta sur un objet qu’il ne put d’abord bien définir. C’était comme une forme humaine immobile et accroupie sur le seuil. Je reconnus enfin une femme dont les cheveux pendaient en désordre, et qui, assise sur la terre, effleurait de ses pieds nus les petites flaques d’eau formées par l’égout des toits. Dès que je pus apercevoir ses traits, je reconnus une de ces pauvres idiotes qui n’ont presque rien conservé de l’espèce humaine. Jean-Marie, qui avait remarqué la direction de mon regard, me dit sans aucune apparence d’embarras

— C’est la sœur Marthe qui m’attend.

— Vous osez donc la laisser seule à la garde de la maison ? demanda mon compagnon.

— Et la maison ne sera jamais mieux gardée, ajouta le taupier ; il n’y a pas comme ces innocentes pour être fidèles au logis. Quand je suis parti, qu’il vente ou qu’il neige, Marthe ne quitte jamais le seuil, et celui qui voudrait le passer sans moi serait étranglé comme une mauvie. Regardez plutôt, voilà qu’elle nous a entendus.

L’idiote venait, en effet, de redresser la tête. Elle sembla aspirer le vent de notre côté, et fit entendre une sorte de glapissement. Son front déprimé, ses yeux obliques, son menton en fuite, sa peau boursouflée et d’un jaune plombé lui. donnaient quelque chose de la bête fauve. En nous apercevant, elle se releva d’un bond, comme si elle eût été mue par un ressort, poussa un cri menaçant et avança vers nous les