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passer ; quelques-uns nous jetaient un souhait de bienvenue, puis nous les voyions reprendre leurs travaux. On n’entendait ni bêlemens de troupeaux, ni chants de pâtres, ni bourdonnemens d’abeilles, rien enfin de cette rumeur de vie qui, dans les jours d’été, fait bruire la campagne. Cependant ce silence ne ressemblait nullement à la mort ; c’était la beauté du calme et du repos après celle du mouvement et du bruit. Nous cédâmes insensiblement, mon compagnon et moi, à l’influence de cette grave sérénité ; nos questions au rouleur devinrent plus rares, et nous avions laissé tomber la conversation, lorsque nous arrivâmes près d’une ferme que l’avoué reconnut pour celle du gros François. Un groupe de paysans armés de bêches et de pioches était arrêté à l’extrémité du petit terrain qui faisait face à l’habitation. Parmi eux s’en trouvait un qui semblait écouter des demandes et des indications. Il tenait à la main une baguette de coudrier à deux branches qu’il présentait aux différentes aires de vent, comme s’il eût voulu reconnaître une direction.

— C’est le taupier,-m’écriai je en reconnaissant maître Jean.

— Non pas pour l’heure, répliqua ironiquement Claude ; il vient de changer de métier. Ne voyez-vous pas qu’il tient une baguette d’Aaron ?

— Il va chercher une source ?

— A moins que nous ne lui fassions peur ! dit le chaudronnier.

Je lui imposai vivement silence de la main. Maître Jean ne nous avait point aperçus, et nous nous trouvions derrière une haie de buis où il était facile de se cacher. Je me baissai de manière à tout voir sans être vu, et mes compagnons en firent autant.

Le sourcier prit la baguette par les deux branches de la fourche, et, la tenant devant lui, il s’avança lentement de notre côté. Les paysans suivaient, attentifs à tous ses mouvemens. Après avoir fait quelques pas, Jean s’arrêta. — La baguette a-t-elle parlé ? demandèrent-ils. — Non, dit le sourcier en continuant sa route, c’est la branche droite qui a tourné dans ma main ; les branches n’annoncent que le métal : la droite est pour le fer, la gauche pour l’or. — Et comme les paysans surpris regardaient autour d’eux sans rien voir et semblaient douter, il entr’ouvrit avec le pied une touffe d’herbe, et y montra un fer de cheval. Tous se regardèrent émerveillés.

— Maître Jean ne néglige rien, me fit observer l’avoué ; il a d’avance préparé la mise en scène et les accessoires.

Cependant le sourcier s’était remis en marche ; il arriva à quelques pas du lieu où nous nous trouvions cachés, sembla hésiter, puis s’arrêta. Les paysans l’entourèrent avec une attention anxieuse ; la baguette de coudrier sembla osciller, se tordit lentement et finit par se tourner vers un tapis de plantes grasses qui veloutaient les alentours d’un buisson d’osier.