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l’Atlantique, et arrive jusqu’à l’entrée de la baie de Biscaye sans rencontrer aucun obstacle. Resserrée par les côtes qui se rapprochent, elle agit en grand, comme l’eau de notre entonnoir, et se précipite vers le fond avec une rapidité croissante. C’est seulement à peu de distance du rivage que ses vagues profondes, heurtant les escarpemens sous-marins, tendent à s’élancer en fusées, comme celles qu’on voit se produire à fleur d’eau le long de nos digues ; mais, arrêtés et déviés par les couches d’eau qui les couvrent, ces courans ascendans se changent en flots de fond qui se meuvent avec une effrayante vitesse et déferlent contre la plage avec une irrésistible puissance. Pendant la tempête de 1822, les vagues, parties des roches d’Arta, avaient jusqu’à 400 mètres, d’amplitude, et parcouraient 20 mètres par seconde[1]. Elles marchaient donc près de deux fois plus vite qu’une locomotive faisant dix lieues à l’heure.

À en croire le colonel Émy, les flots de fond jouent un rôle considérable dans la plupart des phénomènes curieux que présente l’Océan[2]. On les retrouve dans toutes les mers, mais la disposition des plages influe sur leur intensité. Ce sont eux et non les ondulations de la surface qui poussent jusqu’au rivage les galets, les sables et tous les objets submergés ; ce sont eux qui, sur les bancs sous-marins, produisent ces brisans si redoutés des matelots, et qui, par exemple, rendent parfois impraticable, par les temps les plus calmes, la passe de la baie de Saint-Jean de Luz ; c’est à eux que nous rattacherons la tempête perpétuelle qui semble régner à la barre de l’Adour et sur quelques autres points de cette côte ; c’est par eux que M. Émy explique le singulier phénomène que j’ai pu observer en petit dans la rivière de Saint-Sébastien, qui se montre avec bien plus de développement dans presque tous les grands fleuves, et qui est appelé barre par les mariniers de la Seine, mascaret par ceux de la Dordogne, pororoca par les riverains de l’Amazone. À l’embouchure de ce dernier fleuve, lors des grandes marées des pleines et des nouvelles lunes, la mer, au lieu d’employer six heures à monter, atteint sa plus grande hauteur en deux ou trois minutes. Un

  1. M. Vionnois, ingénieur des ponts-et-chaussées, a pu mesurer cette vitesse avec beaucoup d’exactitude en mesurant le temps écoulé entre le moment où les lames brisaient sur Arta et celui où elles arrivaient à la plage. (Note de M. Monnier.)
  2. Du Mouvement des ondes et des Travaux hydrauliques maritimes, par M. Émy, colonel du génie. M. de Caligny, bien connu dans le monde savant par ses belles recherches sur l’hydraulique, a combattu la théorie de M. Émy relativement à la formation des flots de fond, et les regarde comme dus à l’action des vagues formées non par de simples ondulations, mais par un transport réel de liquide. Tous les effets attribués aux flots de fond s’expliquent pour lui par des coups de bélier. Les idées que nous venons d’exposer ici se rapprochent beaucoup de celles de M. de Caligny, bien que nous ayons, avec M. Émy, attribué une influence très réelle aux escarpemens sous-marins sur la formation des flots de fond.