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Une église, autour de laquelle se groupent dix à douze maisons d’un blanc de lait, aux volets rouges ou verts, puis une cinquantaine d’habitations semblables dispersées dans un espace d’environ une demi-lieue carrée, enfermant des collines basses et de petites vallées, semé de bouquets d’arbres, de champs de blé et de maïs, sillonné par d’étroits sentiers qu’ombragent l’aubépine et la prunelle : voilà ce qu’est Guettary, vrai type du village basque. La falaise, rompue à la hauteur d’un des principaux groupes de maisons, s’abaisse en pente raide jusqu’à un petit havre sablonneux que protègent comme des jetées naturelles deux longues traînées de rocher. Grace à cette circonstance, Guettary est aussi un rendez-vous de baigneurs. Le bon marché de la vie, le calme et l’isolement du village y attirent tous ceux qu’effraie le luxe de Biarritz, et qui viennent demander à la mer le soulagement de souffrances réelles. Aussi retrouve-t-on ici le sans-façon des anciens jours. On se baigne pour ainsi dire en famille. Ouverte librement vers le large, la plage reçoit les lames de plein, fouet. Pour résister plus aisément, dames et jeunes filles se prennent par la main, forment un cercle, et c’est plaisir que de les voir attendre la vague avec une sorte d’anxiété joyeuse, sauter l’une après l’autre pour maintenir leur tête au-dessus du flot qui passe, et quelquefois aussi disparaître presque entièrement sous une onde trop élevée. Qu’on ne s’effraie pas de ce tableau, il n’y a nul danger pour elles. Un maître plongeur, vieux matelot au teint bronzé par les intempéries de cent climats, est là qui veille à la sûreté générale, prêt à porter secours au besoin. Au reste, il est sans exemple qu’un baigneur se soit noyé à Guettary, et ces bains, pris en quelque sorte en pleine mer, doivent avoir une double efficacité, grace à l’exercice constant qu’ils entraînent.

À Guettary, tous les hommes sont marins. La plupart s’engagent chaque année à bord des navires frétés pour Terre-Neuve, et reviennent après la campagne, rapportant une somme qui varie de 800 à 1,500 fr. Les autres se livrent à la pêche, surtout à celle du thon. Cette pêche se fait ici tout autrement que dans la Méditerranée. La baie de Biscaye, avec ses abîmes, ses roches et ses tempêtes, ne se prêterait pas à l’établissement des madragues[1]. L’espèce même du poisson est différente. Le thon de la Méditerranée est reconnaissable à ses courtes nageoires pectorales. Celui qu’on pêche à Guettary porte des nageoires très longues ; en outre, il est de plus petite taille, mais sa chair est bien plus délicate ; et c’est lui qui fournit au commerce ses conserves les plus estimées. Pour l’atteindre, les pêcheurs se servent de la ligne. C’est à vingt ou trente lieues au large qu’ils vont jeter leurs hameçons

  1. Voyez les Souvenirs de Sicile, livraison du 15 octobre 1846.