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matelots déserteurs ou de robustes paysans. L’ordre des choses humaines est ici renversé. Le simple ouvrier, qui gagne ailleurs à peine de quoi suffire à ses besoins journaliers, devient millionnaire en Californie, tandis que l’homme de lettres, l’avocat, le banquier, le commis, y courent grand risque de mourir de faim, s’ils ne veulent se livrer qu’à des occupations en rapport avec leurs aptitudes spéciales.

Les deux Californies, haute et basse, sont de formation volcanique, et paraissent avoir été ravagées par des éruptions à une époque relativement assez récente. Sauf les bords du Sacramento, où le terrain est bas et boisé, le voyageur n’y aperçoit que des amas de cônes plus ou moins élevés et séparés par des vallées généralement peu profondes. C’est dans ces vallées, c’est dans ce vaste bassin que couvrent chaque année les eaux du Sacramento, c’est dans les lits des torrens qu’on trouve les wet diggings (extractions humides). On opère sur ce théâtre au moyen d’une machine appelée cradle (berceau), ou par de simples cuvettes en étain. Les résultats qu’on obtient ainsi sont certains, et constans. La moyenne n’en est guère au-dessous de 12 piastres (60 fr.) par jour pour chaque travailleur ; mais, je le répète, pour arriver à ce chiffre, il faut travailler comme on ne le fait nulle autre part au monde, avec un peu de lard et de biscuit pour toute nourriture, et de l’eau saumâtre pour boisson. Il n’y a que l’ouvrier robuste qui puisse se résigner long-temps à une aussi rude corvée, et compter par conséquent sur de semblables résultats.

Les choses se passent différemment dans les dry diggings (extractions sèches). Là, on procède exclusivement au moyen d’une pioche ou d’une barre de fer pointue qu’on enfonce dans la couche granitique après avoir balayé la terre qui la recouvre, et dont l’épaisseur dépasse rarement quatre pieds. Les bénéfices sont moins certains ici, mais aussi beaucoup plus importans. On voit souvent des chercheurs d’or travailler des jours entiers sans amener à la surface une seule pépite, puis rencontrer, au moment où ils s’y attendent le moins, a pocket (une poche) renfermant pour une valeur de 3 à 4,000 francs et quelquefois au-delà. Le bruit de cette découverte court aussitôt à travers le pays. Dans tous les campemens voisins, on se met en mouvement, on se dirige vers cet endroit favorisé ; on se répand tout à l’entour ; on se livre à des recherches minutieuses ; on fait, en peu d’heures, un travail de déblaiement digne des cyclopes. Point de résultat ; car, chose digne de remarque, les pockets, ou nids d’or, aux dry diggings, sont presque toujours isolés. On dirait que l’or, après avoir été entraîné des cônes par de fortes pluies, à une époque où ces pics volcaniques n’étaient pas encore recouverts de terre végétale, s’est arrêté aux inégalités de la couche pierreuse en se logeant dans les interstices et les cavités